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CHRONIQUES
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11 mai 2025
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Pour beaucoup de Français, le loup ne revêt pas de signification musicale particulière. Les moins jeunes se souviennent sans doute du "Pierre et le Loup" de Prokofiev, les plus érudits se rappellent peut-être qu'un "loup" en musique décrit un intervalle de quinte particulièrement dissonant, résultant des systèmes d'accordages inégaux pour instruments à clavier.
Or, une jeune virtuose du piano, Hélène Grimaud, vient d'établir un lien tout neuf entre son clavier et les loups. Elle semble en effet avoir trouvé le discours qui déclenche à coup sûr les ululements des meutes médiatiques. L'artiste aime les loups au point d'en avoir tout un élevage dans sa ferme retirée du Connecticut. Soit. Mais cet amour a acquis une notoriété envahissante. Ainsi, préparant une tournée française en janvier dernier, la belle a fait le tour des télévisions, toutes alléchées par l'odeur des carnassiers. Immanquablement, ces derniers ont dévoré l'écran, ne laissant que de maigres reliefs au piano.
Un nouvel effet pervers des médias ? Peut-être, encore faut-il souligner que le dernier disque d'Hélène Grimaud comprend un texte où la belle explique son inclination pour les Canis Lupus. Une photo au dos du CD laisse même dépasser quelques museaux. Invitée par Frank Erikson sur la chaîne Mezzo, la jeune virtuose explique naïvement qu'elle eût souhaité voir ses amis à poils occuper le recto. Quant au texte, il était destiné à clarifier une fois pour toutes ses relations avec ses compagnons aux yeux gris.
Conclusion et alors même que la tournée pianistique a été annulée pour cause de grippe sévère, Hélène Grimaud est désormais connue comme le loup blanc
par bon nombre de téléspectateurs qui ne la verront jamais effleurer ni noire ni blanche.
Au-delà de l'anecdote et du loupé, il reste à savoir pourquoi cette équation "jeune et belle pianiste virtuose + loups = ?" est fascinante au point que même Télérama lui a consacré une place prépondérante. Dans ce point d'interrogation, il y a évidemment tout l'espace du fantasme. Mais pourquoi, la biographie des artistes, leurs prises de positions sur un sujet ou l'autre, leurs goûts extra-musicaux sont-ils si intéressants ? La presse française serait-elle gagnée par le syndrome "Voici" et autres publications pudiques du groupe d'Axel Ganz ? Ce serait oublier que les virtuoses sont, par essence, depuis Liszt et Paganini, des héros. Or d'un héros, on veut tout savoir, tout connaître. Et plus le héros se distingue du commun, plus il mérite son statut de héros.
Mais le héros est une création quasi mythique qui n'engage que la meute de ses admirateurs et l'artiste qui croit à l'image déformante du miroir de la renommée. Il serait peut-être temps de briser la glace et de se rendre compte que si Liszt et Paganini étaient d'authentiques trouveurs, ce n'est plus le cas de nos jeunes loups cathodiques. Et s'il faut aujourd'hui faire son festin avec eux, nous pourrions bien demain nous en mordre les pattes
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Hélène Grimaud lors de son passage sur la chaîne Mezzo
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Le 21/02/2000
Eric SEBBAG
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