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CHRONIQUES
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09 mai 2025
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L'amateur de musique contemporaine est un mélomane parfois aussi difficile (et lucide ?) qu'un amateur de bel canto. Il a beau avoir entendu des dizaines, des centaines d'oeuvres de compositeurs d'aujourd'hui, il peut, face à certaines pièces, se demander lui aussi si tout cela n'est pas qu'un exercice froid et cérébral. Le festival Agora 2007 joue avec cette notion d'expérimentation, entre grotesque et bravoure : sous le titre d'Utopia/Exotica, il propose des dispositifs aventureux, des utopies sonores qui entourent l'auditeur de sons inouïs qu'un souffle créateur choisit (ou non) d'investir.
Le concert d'ouverture présentait ainsi Ius locis de l'Italien Valerio Sannicandro, qui a la particularité de relier par fibre optique un ensemble à Beaubourg (l'Ensemble Intercontemporain dirigé par François-Xavier Roth) à un groupe de six musiciens situé quelques centaines de mètres plus loin à l'IRCAM. On parlera avant tout d'utopie économique tant la débauche de moyens – électronique en temps réel, écrans, haut-parleurs pour relier les lieux – apparaît disproportionnée face à une oeuvre à la sonorité hésitante, d'où ne surnage qu'un solo central de clarinette basse.
Ce n'est qu'après s'être déplacé pour écouter la pièce une seconde fois dans l'autre configuration que l'on comprend le projet de Sannicandro : Ius Locis pose d'étonnantes réflexions sur notre perception cognitive du son et de l'espace ; mais de l'oeuvre, on ne retient qu'une trajectoire – merci au solo de clarinette basse ! – comme l'esquisse fascinante d'un bâtiment qu'on n'aurait pas pris la peine de rendre habitable.
Au cours de ce concert d'ouverture, outre de pétrifiantes Intégrales de Varèse, on aura également pu entendre une reconstitution du pavillon Philips de l'exposition universelle de Bruxelles en 1958, avec le court Poème électronique de Varèse. Authentique cosmogonie qui trace, de la genèse à une hypothétique harmonie entre les hommes, cette oeuvre rejoint la Telemusik pour bande (1966) de Karlheinz Stockhausen, que l'on écoute dans un auditorium de la Maison de la Radio plongé dans le noir.
Le festival Agora donne ainsi à entendre des utopies originelles, des oeuvres qui font ou essaient de faire retrouver à l'auditeur une perception première, presque enfantine du son. Car c'est l'enfance – période où l'homme n'a pas la connaissance de la séparation, de la distance –, qui tisse le lien subtil qui relie l'Utopie à l'Exotisme d'une programmation mûrement réfléchie. Ainsi du Sprechgesang pour hautbois et ensemble de Jonathan Harvey qui articule instrumentalement le passage qu'effectue l'enfant entre le cri, le babillage et le langage symbolique – passionnante idée, à la réalisation un peu désincarnée –, ou du Vesperbild de Mauro Lanza, qui associe de façon énergique textures à la Grisey et instruments jouets. On retiendra au cours de même concert l'ébouriffante maîtrise de l'ensemble allemand MusikFabrik.
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Édifices formels intrigants
Pour ce premier week-end du festival, l'amateur de musique aura ainsi pu admirer des édifices formels intrigants, ressentir entre les interstices le lyrisme incantatoire de Claude Vivier – Lonely Child, dirigé par Reinbert de Leeuw à la tête du Philharmonique de Radio France, sorte d'équivalent spectral à la contemporaine 3e symphonie de Gorecki –, penser finalement que les concerts avec orchestre sont moins stimulants que pareilles expériences – créations appliquées aux orchestrations virtuoses, massive et lyrique pour le premier, raffinée et suggestive pour la seconde de Dai Fujikura et Misato Moshizuki – mais c'est dans Exotica de Mauricio Kagel que le mélomane trouve le point de convergence de ses réflexions et le ravissement physique que procure aussi la musique contemporaine.
On avait entendu au Printemps des Arts dernier Acustica du même auteur : atterrante suite de bruits de clefs, de papiers froissés, juxtaposés quarante minutes durant. On redoutait que les six musiciens de l'Ensemble Modern munis d'un arsenal de deux cents instruments extra-européens (tels des gongs balinais, des cloches africaines en fer à cheval, des crécelles à vilebroquin, des cors d'éléphant indien
) venus des quatre autres continents, ne reproduisent pareille mésaventure. Or dès les premières « mesures » – un musicien psalmodiant une dramaturgie japonaise –, la magie opère : sans que l'on sache vraiment s'il s'agit d'une parodie ou d'un hommage, on se retrouve, propulsé au gré des alliages, en Afrique, au centre d'une cérémonie tibétaine, à une fête dansante en plein milieu du désert. La simultanéité musicale crée une impression totale d'ubiquité, d'être ici et ailleurs, dans un lieu purement musical .
La musique la plus sophistiquée rejoint la plus ancestrale des musiques ; hurlant, chantant, les musiciens de l'Ensemble Modern dirigés par Mauricio Kagel donnent à entendre des transitions élaborées, des agencements de sons extrêmement raffinés. Exotica montre admirablement à quel point la musique contemporaine est en réalité une musique des origines : par le prisme d'une écriture complexe, on en vient à savourer le bruit d'une percussion contre une peau, d'une mélodie qui naît, d'un son inconnu ; on retrouve le plaisir du son, la musique se joue dans l'instant.
Mercredi 6 juin, Centre Pompidou, Grande salle
Soirée où l'on choisissait le lieu du premier concert et où l'on se déplaçait à l'entracte pour rejoindre un autre lieu de représentation
Edgar Varèse (1883-1965)
Intégrales
Valerio Sannicandro (*1971)
Ius Locis (ensemble 2)
Création mondiale
IRCAM, Espace de Projection
Valerio Sannicandro (*1971)
Ius Locis (ensemble 1)
Edgar Varèse (1883-1965)
Poème électronique (Projection du projet Virtual Electronic Poem)
Ensemble Intercontemporain
direction : François-Xavier Roth
réalisation informatique musicale IRCAM : Serge Lemouton
Jeudi 7 juin, Musée du Quai Branly
Mauricio Kagel (*1931)
Morceau de concours pour deux trompettes
Exotica, pour instruments extra-européens
Ensemble Modern
Valentin Garvie, Isao Nakamura, Rainer Römer, Sava Stoianov, Ueli Wiget, Rafal Zambrzycki-Payne
direction : Mauricio Kagel
Samedi 9 juin, Maison de la Radio, Salle Olivier Messiaen
17 h
Claude Vivier (1948-1983)
Paramaribo
Jonathan Harvey (*1939)
Sprechgesang, concerto pour hautbois et ensemble
Création française
Peter Veale, hautbois
Karlheinz Stockhausen (*1928)
Telemusik pour bande
Mauro Lanza (*1975)
Vesperbild pour ensemble, instruments-jouets et électronique
Ensemble MusikFabrik
direction : Etienne Siebens
réalisation informatique musicale IRCAM : Olivier Pasquet
20 h
Dai Fujikura (*1977)
Swarming Essence, pour orchestre et électronique
Création mondiale
Jonathan Harvey (*1939)
Calling Across Time
Misato Mochizuki (*1969)
L'heure bleue
Claude Vivier (1948-1983)
Lonely Child, pour soprano et orchestre
Gillian Webster, soprano
Orchestre Philharmonique de Radio-France
direction : Reinbert de Leeuw
réalisation informatique musicale IRCAM : Manuel Poletti
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