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CHRONIQUES
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01 novembre 2024
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Née en Croatie en 1921 d’une mère autrichienne et d’un père médecin croate, Srebrenka Jurinac débuta dans le rôle de Mimi de la Bohème en 1942 au Théâtre national de Zagreb, ville où elle avait commencé ses études musicales en 1939. Ces débuts peuvent sembler curieux, mais pas à ceux qui suivirent ensuite la carrière qu’elle entreprit, à la demande de Karl Böhm à l’Opéra de Vienne à partir de 1945.
En fait, dotée d’un timbre très coloré, plutôt sombre et d’une voix au registre étendu, elle allait pouvoir aborder aussi bien les rôles de soprano que ceux de mezzo. Très musicienne, dotée d’un physique très avenant, portant bien le travesti, elle fut rapidement d’une des reines non seulement de Vienne mais des grands festivals, des opéras les plus dynamiques et participa à nombre d’enregistrements mythiques des premières décennies suivant la Seconde Guerre mondiale.
C’est qu’après avoir été un Chérubin de légende, elle put rapidement aborder d’autres personnages généralement attribués à des mezzos, comme Octavian dans le Chevalier à la rose ou le Compositeur dans Ariane à Naxos, tout en chantant aussi Mimi, Manon de Puccini, Ilia dans Idoménée, Dorabella autant que Fiordiligi dans Così fan tutte. De même, dans Don Giovanni, elle s’illustra aussi bien en Donna Elvira qu’en Donna Anna, tout comme après avoir été Chérubin elle fut la Comtesse ou après avoir été Marcelline dans Fidelio, elle chanta le rôle-titre de façon magistrale.
Légendaire Octavian aux côté de la Maréchale d’Elisabeth Schwarzkopf dans le célèbre film tourné à Salzbourg sous la baguette de Karajan, elle devint plus tard une remarquable Maréchale elle-même. C’est d’ailleurs avec Karajan qu’elle aborda de grands rôles de sopranos italiens, comme Elisabeth dans Don Carlo et Desdémone dans Otello.
D’un Ă©clectisme vraiment Ă©tonnant, elle s’empara aussi du rĂ©pertoire russe et Europe centrale, avec Tatiana d’Eugène OnĂ©guine, Lisa de la Dame de pique, Marina de Boris Godounov, Marenka de la FiancĂ©e vendue, Jenůfa puis Kostelnicka chez Janáček. Elle alla mĂŞme avec toujours la mĂŞme rĂ©ussite et le mĂŞme succès jusqu’à Elisabeth de Tannhäuser, Marie de Wozzeck, LĂ©onore de la Force du destin. Superstar Ă l’OpĂ©ra de Vienne et au Covent Garden de Londres comme aux festivals de Salzbourg et de Glyndebourne, Paris ne la vit qu’assez occasionnellement, comme ce fut le cas de la plupart des grandes cantatrices de cette Ă©poque dorĂ©e.
Elle se retira de la scène en 1982 en chantant une ultime Maréchale et se voua alors à l’enseignement. Dans le foisonnement si magnifique des belles et grandes voix de l’époque, elle figura au tout premier plan, par la subtilité de ses interprétations, par son intelligence musicale et scénique qui tiraient un parti maximal de possibilités vocales déjà hors du commun.
Sa discographie laisse une trace assez riche de cette étonnante carrière. Les principaux titres en sont le Chevalier à la rose (Universal), Don Carlo (Universal), Don Giovanni (Universal), Le Nozze di Figaro (EMI), Fidelio (EMI), Mozart airs de concerts et mélodies (EMI), Smetana Airs d’opéras (EMI), Strauss : Quatre derniers Lieder (EMI), Tchaïkovski airs d’opéra (EMI), Eugène Onéguine (Walhall), Tosca (Myto), Madame Butterfly (IOD), Ariane à Naxos (Myto), Magnificat de Bach (Philips).
Souvenir personnel enfin d’un spectacle à l’Opéra de Vienne où elle chantait Fidelio avec rien moins qu’Irmgard Seefried en Marcelline… deux magiciennes de la voix et de la scène, sans afféterie, sans rien de trop, sans rien qui manque, avec une aisance vocale et scénique confondante, une identification théâtrale et musicale absolue avec leurs personnages. Heureuse époque !
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