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CHRONIQUES
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01 novembre 2024
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Baryton puissant au timbre sombre de basse, comme beaucoup de ses confrères venus de l’Est, il fut impérial dans le répertoire russe, superbe dans bien des rôles de Verdi et même de Mozart, tout comme dans la mélodie et même les chansons populaires de son pays. Commencée derrière le rideau de fer en 1980, sa carrière, telle celle de bien d’autres artistes soviétiques, prit une dimension internationale en 1989, après la chute du mur de Berlin et l’effondrement du régime communiste pur et dur. Le Premier prix du concours de Cardiff lui ouvre cette année-là les portes des grands théâtres lyrique occidentaux. Il y paraît désormais dans les premiers rôles graves des répertoires russes et italiens, partenaire attitré des gloires du moment, les Fleming, Guryakova, Netrebko, Alagna, Kaufmann et même Pavarotti en début de cette vaste carrière internationale.
On a parfois discuté sa qualité de vrai baryton verdi, car ce timbre d’un métal bien particulier ne s’accordait pas forcément aussi impérieusement à tous les personnages, convenant mieux par exemple au Comte de Luna du Trouvère qu’au Rodrigo de Don Carlo. Mais que ce soit dans les opéras de Tchaïkovski ou de Glinka et de Rachmaninov, par exemple, ainsi que dans leurs mélodies, la puissance de sa voix, son sens du drame et sa prestance physique étaient impérieux. Il s’amusa à enregistrer, outre ses grands rôles traditionnels, des airs populaires que l’on entendait à la radio soviétique, témoins de toute une époque et quasiment de toute une civilisation, surtout pour ceux qui connurent la Russie soviétique.
Il avait, en interview, ce comportement caractéristique des bien des artistes russes ; à savoir une certaine timidité, une certaine réserve en début de conversation, puis une décontraction amicale, chaleureuse dès qu’il se sentait en confiance. Quand je le rencontrai pour la deuxième fois, j’avais entre temps entrepris, non sans beaucoup de mal, à m’initier à la langue russe. J’essayai avec lui quelques bribes de mon savoir, ce qui lui causa un irrépressible fou-rire : « Il y a encore du travail à faire » conclut-il quand il put reprendre son sérieux. Paris l’a accueilli plusieurs fois, à l’Opéra Bastille et au Théâtre du Châtelet, mais c’est à l’Opéra de Nice qu’il avait fait ses débuts en France, en 1989, dans la Dame de Pique, où Martha Mödl chantait la Comtesse, rencontre de deux générations d’illustrissimes interprètes, d’une carrière naissante et d’une autre brillant de ses tous derniers feux.
Il s’est battu contre la maladie avec un courage colossal, revenant sur scène entre différentes phases de traitement. Il était encore présent en récital sur la scène du Châtelet voici tout juste un an. Ignorant la maladie dont il était déjà atteint, j’écrivais alors dans ces colonnes à propos de ce programme de mélodies russes : « Il faut avant tout reconnaître et saluer ces moyens exceptionnels qui sont aujourd’hui à leur apogée. Avec ce timbre riche et cette puissance à décrocher les lustres, le grand baryton russe force l’admiration… » Était-ce un pressentiment, une annonce ? Il terminait en dernier bis avec le Credo de Iago dans l’Otello de Verdi… La morte è il nulla.
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