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CHRONIQUES
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01 novembre 2024
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L’une des plus grandes cantatrices du XXe siècle vient de s’éteindre à Barcelone. Pour toute une génération d’amateurs de musique et de chant, elle aura été l’une des reines incontestables d’une époque bénie où les belles voix ne manquaient pas mais où elle tint une place unique aux côtés des Callas et autres phénomènes. À cette époque, on pouvait faire son apprentissage dans les compagnies allemandes notamment qui pratiquaient un large répertoire et permettaient aux débutants d’apprendre le métier. Formée au conservatoire du Liceu de Barcelone, elle œuvrait à Brême après avoir été en saison à Bâle, théâtres où elle chantait aussi bien les opéras italiens qu’allemands.
C’est Bernard Lefort, alors impresario à Lausanne, qui lui donna sa première grande chance en la proposant en 1965 à un ami impresario américain pour remplacer Marilyn Horne en concert dans un opéra si peu connu alors que Montserrat dut l’apprendre en quelques jours. C’était la Lucrezia Borgia de Donizetti, au Carnegie Hall. Triomphe absolu qui la fait connaître en un soir du monde lyrique entier et qui marque le début d’une fantastique carrière. Le Festival de Glyndebourne, puis le Met et toutes les plus grandes scènes lyriques du monde vont désormais se l’arracher dans un répertoire allant des grands Puccini et Verdi traditionnels à Richard Strauss et au bel canto pur qu’elle contribua beaucoup à révéler et à imposer.
La voix était d’une beauté totale, timbre personnel mais émission parfaite, stable, souffle sans fin sur toute la tessiture, maîtrise totale de la technique des ornements les plus périlleux, santé vocale résistant à toute épreuve. Qui ne se rappelle cette Norma des Chorégies d’Orange en plein mistral déchaîné où sa cape se souleva perpendiculaire derrière elle sans pour autant l’empêcher de chanter un Casta diva d’anthologie.
Nous l’avons entendue aussi bien en Sémiramide de Rossini à Aix et à Paris qu’en Turandot ou en concert, car toujours grâce à Bernard Lefort, elle fut vite introduite auprès du public parisien et français qui l’adula dans l’instant. Femme de bonne humeur, généreuse, facilement rieuse et même blagueuse, elle était si heureuse de chanter qu’elle se disait bénie de Dieu, avec en plus un mari qu’elle adorait même s’il chantait moins bien qu’elle, et des enfants qui l’entouraient, ce qui ne l’empêchait pas en outre de s’occuper de diverses fondations charitables.
Je l’ai assez bien connue et garde le souvenir d’une femme sans prétentions, toujours souriante, même en répétitions, appréciant les histoires drôles, même celles qui la concernaient, avec un vrai sens de l’humour. Si elle n’avait pas toujours l’impact dramatique et théâtral immédiat d’une Callas, la beauté stupéfiante de la voix vous clouait sur place et on ne demandait rien d’autre que de l’entendre sans fin, encore et encore, la crédibilité de chaque personnage se bâtissant par la beauté du chant et du style.
Beaucoup d’enregistrements laissent d’ailleurs la preuve de ce que fut cette carrière, de ce que fut cette artiste si généreuse dans la vie comme sur scène. Montserrat, vous allez beaucoup nous manquer, mais quelle chance nous avons eue de vous avoir !
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