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CHRONIQUES
29 mars 2024

Sablé 2005 :
Étincelles baroques

© Ana Bloom

De villages en églises, l'art baroque investit la Sarthe et la Mayenne à l'occasion du Festival de Sablé. Et le rythme soutenu des concerts n'effraie en rien les festivaliers venus retrouver la famille d'artiste que Jean-Bernard Meunier a su constituer à force de passion. De Christina Pluhar à Pierre Hantaï, en passant par Hervé Niquet, les grands moments de musique n'ont pas manqué.
 

Le 05/09/2005
Mehdi MAHDAVI
 



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  • Dix jours durant, Sablé-sur-Sarthe vit au rythme de l'art baroque, à travers l'Académie bien sûr, lieu de rencontre privilégié entre musiciens de toutes les générations, et un Festival sans apprêt, favorisant les découvertes, prestigieux sans pour autant se parer de thématiques redondantes, espace de liberté de la danse, du théâtre et de la musique sans concession à la mode. Un certain esprit artisanal perdure, offrant aux artistes la possibilité de prendre des risques, tant le public est ici attentif et solidaire, sans distiller cet ennui poli qui, de Paris, tente de gagner les festivals les plus huppés.

    Rien de tel à Sablé, où l'on vient en famille, traversant champs et villages, glaner quelques moments de grâce, tel le concert donné par l'Arpeggiata de Christina Pluhar en l'église de Meslay-du-Maine. Accompagnée de Nuria Rial et de Philippe Jaroussky, la harpiste autrichienne présentait un nouveau programme de madrigaux, cantates, canzonette et scherzi musicali.

    Philippe Jaroussky, petit satyre

    Si quelques déséquilibres entre solos et duos, quelques attaques incertaines viennent rappeler qu'il s'agit bien d'une première, la magie opère dès les premières notes de Ninfa bella, duo buffo extrait de la Calisto de Cavalli, où Philippe Jaroussky joue avec délectation les petits satyres face à la Lymphée inflexible de Nuria Rial, enchaîné avec un sens du contraste extravagant à l'envoûtant Lumi, potete piangere de Giovanni Legrenzi, dont les voix s'accordent à merveille, mêlant le velours séraphique du contre-ténor aux perles d'or de la soprano.

    Il faudra certes attendre le duo final du Couronnement de Poppée pour atteindre à nouveau cet état de grâce, la musicalité intime de Nuria Rial se complaisant trop souvent dans la demi-teinte, sans que la voix montre de réelles capacités à s'épanouir, alors que Philippe Jaroussky peine à retrouver les graves récemment conquis, mais Christina Pluhar ne cesse d'alimenter le choc des passions, guide inspiré d'un voyage onirique à travers les affetti seicentesques, parfois bousculés par les démons improvisateurs de l'Arpeggiata, jusqu'à l'exaltation de la couleur et du rythme.

    Honnestes curieux mais pas authentiquement virtuoses

    Dans un programme entièrement consacré à Bach, l'Assemblée de Honnestes Curieux ne peut évidemment prétendre à une telle liberté d'invention. Surtout, peu flattés par l'acoustique de l'église Saint-Thomas de la Flèche, le hautboïste Antoine Torunczyk et plus encore le flûtiste Manuel Granatiero ne parviennent pas à se montrer authentiquement virtuoses, d'autant que le continuo tend à les écraser du violone de Baldomero Barciela. Quant à la Cantate du mariage BWV 202, elle vaut davantage par ses qualités instrumentales – le violon solo d'Amandine Beyer et, malgré la justesse aléatoire, le violoncelle de Marco Cecato – que par la prestation de la soprano Anne Magouët dont les efforts d'articulation brisent la ligne et troublent l'intonation.

    De l'Allemagne de Bach à la France de Charpentier, de la cantate nuptiale à la Messe à double choeur, le festivalier légèrement assoupi se voit contraint à un grand écart stylistique des plus stimulants. Dans le cadre idéal de la Chapelle Saint-Louis, Hervé Niquet déploie son Concert Spirituel avec ampleur et souplesse, en un flot continu de musique avare de contrastes et un rien monochrome. Si cette linéarité manque à plusieurs reprises d'asphyxier la Messe à 8 voix et 8 violons et flûtes (H. 3), un souffle nouveau porte le Te Deum à 8 voix avec flûtes et violons (H. 145), si souvent éclipsé par le numéro d'opus suivant consacré par l'Eurovision. Parmi les solistes, il convient de distinguer les remarquables interventions d'Emiliano Gonzalez-Toro, d'une parfaite éloquence dans l'érection de ces monuments à la grande forme.

    Une étourdissante joute musicale

    Du seul clavecin, et quoi qu'il touche, Pierre Hantaï bâtit à son tour, dans la plus modestes église de Morannes, une cathédrale sonore, à l'architecture implacable. De Byrd à Scarlatti, en passant par Froberger et Bach, le claveciniste français se livre à une étourdissante joute musicale – allons jusqu'à dire une bataille sans merci contre les limites de l'instrument, dont il sait tirer une ampleur, des sonorités inouïes, pour que l'idée transcende la technique, époustouflante. Hantaï surprend, assène, tend un discours sans rupture, jamais ne propose, toujours s'impose.

    Les Telemann et les Bach de Musica Antiqua Köln, malgré leur son inimitable, sombre, presque bourru, ne peuvent lutter contre l'infinie complexité que le claveciniste imprime à chaque pièce. De ce concert éclair, assuré avec une brutalité uniforme, ne persiste qu'une impression de conformisme, comme si Reinhard Goebel et ses musiciens se devaient de coller à l'image préétablie de l'ensemble pionnier et bardé de prix.

    Nulle place ici pour ces prises de risques, parfois jusqu'au bord du gouffre, cette étincelle même à l'origine de l'incandescence d'une interprétation musicale, que le Festival de Sablé pourrait se targuer, s'il ne se nourrissait de passion si authentique, si conviviale, de raviver chaque année.




    Le 05/09/2005
    Mehdi MAHDAVI



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