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CHRONIQUES
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19 avril 2024
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Voilà de quoi faire frémir sous les lambris et dans les chaumières ! Au Hojotoho ! des Walkyries qui occupaient ces jours derniers la scène du Châtelet dans le Ring de Wagner vu par Bob Wilson et Christoph Eschenbach répondra en septembre un autre fameux « cri » très différent celui-là , un certain Mexi-i, Mexi-iiiii-co ! Le souvenir de la voix chaude et ensoleillée de Luis Mariano vibre déjà dans nos oreilles au moment où Jean-Luc Choplin, successeur de Jean-Pierre Brossmann à la tête du premier théâtre de la ville de Paris, annonce en présence du maire Bertrand Delanoë une programmation qui commence par le Chanteur de Mexico de Francis Lopez, succès immémorial du Châtelet, prévu pour le nombre impressionnant de vingt-sept représentations.
Retour Ă la ringardise ?
Défi, provocation après tant de saisons où les successifs patrons de ce théâtre, Jean-Albert Cartier, Stéphane Lissner puis Jean-Pierre Brossmann, se sont acharnés à en effacer l'image ringarde ? Choplin, sourire en coin, savoure la surprise de son auditoire interloqué. « J'ai souhaité ne pas faire une saison traditionnelle d'opéra. L'offre lyrique à Paris est très abondante ». Et, avant la moindre réaction, il assure que la saison 2006-2007 sera une transition, qu'elle ne sera en rien une formule d'avenir et qu'il s'apprête à nous surprendre encore plus les années suivantes en revenant éventuellement sur ses pas.
Brouillant les pistes, le lendemain de sa conférence de presse, devant les journalistes de la PMI (Presse Musicale Internationale), il promet après une année de rupture, « de la nouveauté dans la continuité », plus Verdi et Puccini. Au regard du contenu lyrique très riche de l'ère Brossmann, on a pour l'heure un peu de mal à la voir, la continuité !
Le Mexico de Pierre et Gilles
« Un peu de légèreté. Donner à l'opérette sa juste place et revenir à la grande mémoire du Châtelet », telle est la volonté de Choplin pour son Chanteur, auquel Roberto Alagna ne participera pas comme la rumeur s'était empressée de le faire croire. Le metteur en scène sera un spécialiste de la Zarzuela, Emilio Sagi. Celui-ci annonce la couleur d'une production au second degré avec l'affiche kitsch (voir ci-dessus) de Pierre et Gilles que l'on peut déjà admirer sur les colonnes Morris. Ismael Jordi, entendu naguère en Fenton dans Falstaff à Strasbourg et le très jeune Mathieu Abelli, que l'on peut voir actuellement dans la Finta Giardiniera de Mozart, se relaieront dans le rôle de Vincent aux côtés de vedettes du théâtre, Clothilde Courau et Jean Benguigui.
Un Ă©clectique venant de chez Mickey
Jean-Luc Choplin, 56 ans, aime à déclarer : « Je ne prétends à rien. Je suis un bon artisan, une utility pour permettre que les choses se fassent ». À la fois économiste (pour faire plaisir à sa famille) et flûtiste, formé à l'École Normale de Musique du boulevard Malesherbes, il est aussi philosophe dans la mouvance de Levinas. Un touche-à -tout passé par l'administration de l'Orchestre de Lorraine, la direction de Disney à Los Angeles et celle du Sadler's Wells Theatre à Londres. Entre la musique et Mickey, il s'est fait des amis : John Cage lui a même dédié plusieurs de ses oeuvres, tandis que Rudolf Noureev fit de lui l'administrateur du ballet de l'Opéra de Paris.
Pour sa première saison, Bob Wilson, compagnon de route, signera la Passion selon Saint-Jean de Bach avec une chorégraphie de Lucinda Childs. Le vidéaste Pierrick Sorin, rencontré alors que Choplin modernisait la section artistique des Galeries Lafayette, donnera une vision anti-conformiste de la Pietra del paragone de Rossini. Au summum, Choplin place la chaleur des aventures humaines ; c'est ce qui lui a fait programmer l'opérette-revue écrite par Germaine Tillion au camp de concentration de Ravensbrück. Le Verfügbar aux enfers de cette résistante de 99 ans sera mis en scène par une artiste de 20 ans, Bérénice Collet.
Candide de Bernstein et un opéra-pop
Choplin égrène ses projets en effeuillant un catalogue en forme de nuancier : Candide de Bernstein verra Lambert Wilson dans le double rôle de Pangloss et de Voltaire ; le nouveau directeur se réjouit aussi d'un dialogue avec la Chine à travers un classique de sa littérature, Monkey Journey to the West dont sera tiré un opéra-pop, d'une ouverture au jazz, de la présence de la danse avec le ballet de Monte Carlo. Et bien sûr de la poursuite des séries de prestige : les Concerts du dimanche matin de Janine Roze et ceux de Piano**** d'André Furno. Ce dernier réussira une gageure, l'ouverture du Châtelet le 23 août de cet été pour accueillir le West-Eastern Divan Orchestra de Daniel Baremboïm, formation composée de jeunes palestiniens, syriens et juifs.
Restent quelques ombres au tableau : d'abord une querelle avec John Eliot Gardiner. C'est finalement Marc Minkowski qui dirigera Carmen. Quant à Thaïs de Massenet, chantée par Renée Fleming, elle ne sera donnée qu'en version de concert : la diva n'a pas suffisamment de temps pour se plier à des répétitions scéniques. Et où sont passés les concerts symphoniques de formations internationales qui ont fait la réputation du Châtelet ? Reste aussi une inconnue : les 4000 abonnés, le public (175000 places sont à moins de trente euros) suivront-ils ?
Pour l'heure, les spécialistes, ébahis et sceptiques devant tant d'éclectisme et par ce mélange d'un Châtelet vaguement sophistiqué et ouvertement populaire, sont sur la réserve. Pour cette première saison, l'Opéra de Paris peut se frotter les mains devant ce qui prend les traits d'une quasi évaporation de la concurrence lyrique. Mais qu'on se rassure, Choplin compte au moins un fan, Hugues Gall, ancien directeur de l'Opéra, qui a promis qu'il serait à la première du Chanteur de Mexico !
Consulter le programme complet de la saison 2006-2007.
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