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CHRONIQUES
16 avril 2024

Beim Schlafengehen

Si la disparition de Schwarzkopf bouleverse les mélomanes qui l'ont entendue sur scène, on ne peut pas en dire autant de la jeune génération, auprès de qui elle n'a jamais été très populaire. Nous tenions pourtant, nous qui avons grandi en entendant Dessay, Gens, Von Otter, à rendre hommage à une artiste légendaire qu'à l'heure de l'émergence du disque compact nous découvrions avec émerveillement.
 

Le 04/08/2006
Thomas COUBRONNE
 



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  • Il y eut d'abord Mozart, Das Lied der Trennung, puis le Requiem de Brahms avec Karajan, où dès 1947 elle prodiguait le legato le plus somptueux en soutenant les choeurs – le So seid nun geduldig du deuxième mouvement. Puis viendraient les Quatre derniers Lieder, et la Maréchale, avec cette incroyable rêverie de la fin du premier acte, ce soupir dont Philippe Manoury devait tirer sa pièce En écho. Puis Ariane, puis ses Mozart bien sûr, et l'opérette, et tout le Lied de Schubert à Wolf. Un autre âge, une autre conception du chant, du mot, du phrasé ; de la musique.

    Pour nous, qui étions élevé comme nos conscrits à l'école de la nouvelle musicologie, du renouveau baroque, des phrasés exaltés et détaillés, de la frilosité à l'égard du gros son, de l'attachement au texte, nous fûmes – paradoxe ou non – subjugué dès le début. Tout y était : la palette infinie des coloris, les phrasés soignés au-delà de l'imaginable, un instinct de l'accent rhétorique que les baroqueux croient avoir réinventé, et surtout la ferveur, étoile polaire que pas une fois Schwarzkopf ne perdit de vue, en tout cas au disque, car nous n'eûmes jamais l'occasion d'entendre en vrai cette immense artiste toujours si humble devant la musique.

    La vision que les jeunes mélomanes ont de la chanteuse, quand elle ne consiste pas à déblatérer des critiques répétées partout sans l'avoir jamais véritablement écoutée, est désolante : petite voix, acide, maniérée, fabriquée, tricheuse, peste au surplus, qui n'aurait jamais fait de carrière sans son mari, et trop nazie pour être musicienne. Cherchant l'opulence d'une Fleming, d'une Norman, on trouve ses Strauss trop « soubrette Â» ou trop coquets.

    Mais c'est que la musicienne avait compris, par un instinct très sûr, que Strauss est plus du Mozart que du Puccini, et que la pureté de la ligne de chant, la délicatesse des accents, la finesse de l'émission – on chercherait en vain dans sa discographie un son grossi – y suscitaient une musicalité bien plus subtile que le tout-venant dont nos oreilles contemporaines sont rebattues.

    Cet art viennois et ciselé devait notamment laisser d'incomparables Quatre derniers Lieder, où certes elle ne fait pas montre de l'ampleur de cantatrices plus en voix, encore que, contrairement à mainte grande pointure internationale, les aigus ne soient pas bas, mais surtout où l'on sent mieux que nulle part ailleurs la contemplation crépusculaire d'une fin de vie vouée à la beauté, à l'art, à l'expression de l'humain et de ses déchirements.

    Qu'importe alors tout le reste ? Walter Legge fabriqua sa carrière, sans doute ; elle n'avait pas une grande voix, certes ; son art était sophistiqué, évidemment, mais du moins en avait-elle un ; et surtout à notre époque où l'on s'extasie sur des Bostridge, des Bonney et sur la mode de l'effet dans tout le répertoire, quelle hypocrisie que de la taxer de maniérisme ! Est-on tombé si bas, qu'on ne goûte plus que du prêt à consommer, du lisse, du bien fait, du plastique, du sonore, fût-il désespérément inhabité ? A-t-on perdu de vue la raison d'être de tout cela : l'expression de l'humain ? Et quel chant fut plus peuplé de figures que le sien, quelle Comtesse plus mélancolique, quelle Maréchale plus évocatrice ?

    Avec son départ, c'est une page qui se tourne. Cet art, cette exigence seront bientôt perdus ; ceux qui les détenaient s'en vont les uns après les autres, et notre temps n'en veut pas. Ils ne lui servent de rien. Adieu donc, le rideau tombe sur une des personnalités les plus remarquables de l'histoire du chant, dans ce qui nous semble une indifférence injustifiée.

    Mais ne troublons pas la platitude proprette du monde musical : il est commun de brûler les anciennes idoles pour s'autoproclamer nouveau dieu. On sait que Zeus et les Olympiens ne renversèrent Cronos que pour être à leur tour évincés par les Barbares et bien plus tard le christianisme. Et si l'avenir de la religion était l'athéisme ? L'avenir de l'art la société de consommation ? Dove sono i bei momenti




    Le 04/08/2006
    Thomas COUBRONNE



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