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CHRONIQUES
04 juillet 2025

Saint Jean en quatre stations

La musique de Bach serait-elle le remède à la crise de la foi ? À en croire l'engouement du public pour les Passions proposées durant le carême, le récit des derniers jours du Christ fascine toujours. Du théâtre, à l'église, sur instruments anciens ou modernes, pas moins de quatre Saint Jean en ont exalté, au-delà du sacré et par l'extrême diversité des approches, la force expressive et dramatique.
 

Le 10/04/2007
Mehdi MAHDAVI
 



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  • Comme en une rĂ©trospective picturale, la Passion selon Saint Jean de Bach aura connu durant le Temps du CarĂŞme les expressions les plus variĂ©es, jusqu'Ă  la piètre tentative de mise en scène, ou plutĂ´t en images figĂ©es et aseptisĂ©es de Robert Wilson au Châtelet, guère relevĂ©e par la direction dĂ©nuĂ©e de théâtralitĂ© d'Emmanuelle HaĂŻm.

    Nelson Ă  Notre-Dame

    Garant d'une certaine tradition, honorée chaque année par l'exécution d'une grande oeuvre sacrée en la Cathédrale Notre-Dame de Paris, John Nelson en proposait, à la tête de l'Ensemble Orchestral de Paris, la seule interprétation sur instruments modernes. Dans une acoustique périlleuse entre toutes, le chef américain s'attache avant tout à ne pas diluer les contours par une lecture probe, efficace, sans afféterie, d'un juste équilibre entre drame et contemplation, registre dans lequel la Maîtrise Notre-Dame de Paris, qui peine à traduire la virulence des turbae, sait déployer de belles couleurs.

    Inégale, la distribution vaut par l'Évangéliste parfaitement idiomatique de Werner Güra, au timbre gracieux et poétique, et le Jésus profond de Stephen Morscheck, qui reçoit du Pilate d'Armando Noguera une juste réplique. Désormais privée de lumière et de justesse, Ruth Ziesak se réfugie dans le maniérisme, à l'instar de Dietrich Henschel qui, faute de grave et de couleurs, fait un sort hautain à chaque mot. D'une belle clarté, le ténor de John Tessier se révèle court d'expression dans Erwäge, tandis que la ligne de viole encombrée d'effets de Jonathan Dunford perturbe l'espace d'un Es ist vollbracht l'alto infiniment tendre de Marie-Nicole Lemieux.

    BrĂĽggen Ă  Saint-Roch

    La veille en l'église Saint-Roch, le violiste Rainder Zipperling avait fort à faire dans ce même air – et il le fit avec une admirable sobriété – pour pallier l'insignifiance vocale du contre-ténor Patrick van Goethem. Et si le soprano laborieux de Nele Gramß ne se montrait guère moins terne, le ténor de Marcel Beekman déployait, outre les marques d'une profonde intimité avec cette musique, les vertus d'une projection naturellement ferme. Face à l'Évangéliste simplement solide de Markus Schäfer, la vraie basse d'opéra, caverneuse mais souple, de Geert Smits restituait à ses airs leur dimension universelle. Surtout, l'instrument juvénile et moelleux de Thomas Oliemans s'auréolait d'une troublante fascination, évoquant le Christ sensuel de l'Évangile selon Saint Matthieu de Pasolini.

    Aboutissement de toute une vie, la lecture aux tempi apaisés de Frans Brüggen étreignait dès les premières mesures, comme guidée par une foi sincère, jamais démonstrative. En précision comme en justesse – n'était le passage à vide des violes d'amour –, l'Orchestre du XVIIIe Siècle et la Cappella Amsterdam ne faisaient qu'un, modelés à mains nues avec une capacité de suspension proprement inouïe – les Wohin ! dans le Eilt, ihr angefochtnen Seelen de la basse –, d'une transparence non vibrée, mais jamais désincarnée.

    Suhubiette au Théâtre des Champs-Élysées

    À la tête de son Ensemble Jacques Moderne – à cinq par pupitre, contre six pour le choeur néerlandais –, Joël Suhubiette effectue une recherche opposée, privilégiant la dramatisation du texte par la variété des accents et le crépitement des consonnes, accru par l'acoustique peu réverbérée du Théâtre des Champs-Élysées, mais dans un constant souci de rondeur, alors que la sonorité des Folies Françoises demeure trop dispersée, et non dénuée d'aigreur.

    Christ éloquent malgré l'usure, Stephan Imboden n'en est pas moins réduit à détimbrer les airs de basse. Quant à Gérard Lesne, qui contrairement à Andreas Scholl – douloureuse expérience d'une lumière éteinte – a conservé la singularité cuivrée de son timbre, il ne peut plus qu'esquiver des aigus qui, se dérobant, brisent la ligne. Nullement prédisposée à ce répertoire, en couleur comme en format, Ingrid Perruche en est d'autant plus miraculeuse de phrasé, d'instrumentalité conquise. Et de limpidité, de lumière retrouvée, comme coulée dans la sonorité de l'orgue, Paul Agnew fait un Évangéliste singulier – comme toujours avec cet artiste décidément majeur –, revivant comme en rêve, parfois en cauchemar, le récit de la Passion.

    La Brockes-Passion de Keiser

    Pour l'anecdote enfin, Dominique Meyer, à qui l'on sait gré de diversifier la semaine sainte en son théâtre, avait programmé, deux ans après celle de Telemann, la Brockes-Passion de Reinhard Keiser. S'il fut le premier à mettre en musique, un an à peine après sa publication, ce poème fort prisé – Haendel, Mattheson, Fasch, Stölzel s'y confrontèrent, Bach y puisa pour la Saint Jean –, ce maître de l'opéra allemand n'y déploie qu'avec parcimonie cette invention luxuriante caractéristique de ses ouvrages lyriques, qui incita Haendel à de fréquents emprunts. L'alternance quasi-mécanique entre le récit de l'Évangéliste et les brèves arie da capo de la Fille de Sion, que rien ne distingue, dans leur grande majorité, de l'ordinaire des cantates italiennes du tournant du XVIIe siècle, lasserait même rapidement si les choeurs ne la bousculaient de rythmes puissamment évocateurs.

    S'ils défendent l'oeuvre avec netteté, Christophe Rousset et ses Talens Lyriques ne peuvent transformer l'eau en vin, d'autant qu'à l'exception du soprano galbé de Judith van Wanroij, les solistes, qui assurent également les interventions chorales à deux par partie, s'avèrent hésitants ou peu concernés. Pourquoi contredire la postérité, lorsque celle-ci fait bien son office ?




    Johann Sebastian Bach (1685-1750)
    Johannespassion (1724)

    21 mars, Église Saint-Roch

    Nele GramĂź, soprano
    Patrick van Goethem, alto
    Markus Schäfer, ténor (L'Évangéliste)
    Thomas Oliemans, basse (Jésus)
    Marcel Beekman, ténor (airs)
    Geert Smits, basse (airs)

    Cappella Amsterdam
    Orchestre du XVIIIe Siècle
    direction : Frans BrĂĽggen

    22 mars, Cathédrale Notre-Dame de Paris

    Ruth Ziesak, soprano
    Marie-Nicole Lemieux, alto
    Werner Güra, ténor (L'Évangéliste)
    Stephen Morscheck, basse (Jésus)
    John Tessier, ténor (airs)
    Dietrich Henschel, basse (airs)
    Armando Noguera (Pilate)

    Maîtrise Notre-Dame de Paris
    Ensemble orchestral de Paris
    direction : John Nelson

    7 avril, Théâtre des Champs-Élysées

    Ingrid Perruche, soprano
    Gérard Lesne, alto
    Paul Agnew, ténor (L'Évangéliste, airs)
    Stephan Imboden, basse (Jésus, airs)
    Didier Chevalier (Pilate)

    Ensemble Jacques Moderne
    Orchestre des Folies Françoises
    direction : Joël Suhubiette

    8 avril, Théâtre des Champs-Élysées

    Reinhard Keiser (1674-1739)
    Brockes-Passion (1713)
    Livret de Barthold Heinrich Brockes

    Monique Zanetti, Kristina Hansson, Judith van Wanroij, sopranos
    Clare Wilkinson, Damien Guillon, altos
    Emiliano Gonzalez Toro, ténor (L'Évangéliste)
    Anders Dahlin, ténor (Pierre, une âme croyante)
    David Lefort, ténor (Judas, Jacob, un soldat, une âme croyante)
    André Morsch, baryton (Jésus, une âme croyante)
    Matthew Brook, baryton (Jean, Pilate, Caïphe, le capitaine des gardes, une âme croyante)

    Les Talens Lyriques
    direction : Christophe Rousset




    Le 10/04/2007
    Mehdi MAHDAVI



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