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CHRONIQUES
23 avril 2024

Agora 2007, utopies originelles

Sous la bannière d'Utopia/Exotica, le festival Agora 2007 propose une somme d'expériences musicales qui bouleversent le cadre du concert traditionnel. Salle plongée dans le noir, oeuvre jouée dans deux lieux séparés, ce sont assurément parmi les soirées les plus originales et les plus stimulantes de la saison. Exotica de Mauricio Kagel en constitue le sommet.
 

Le 15/06/2007
Laurent VILAREM
 



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  • L'amateur de musique contemporaine est un mélomane parfois aussi difficile (et lucide ?) qu'un amateur de bel canto. Il a beau avoir entendu des dizaines, des centaines d'oeuvres de compositeurs d'aujourd'hui, il peut, face à certaines pièces, se demander lui aussi si tout cela n'est pas qu'un exercice froid et cérébral. Le festival Agora 2007 joue avec cette notion d'expérimentation, entre grotesque et bravoure : sous le titre d'Utopia/Exotica, il propose des dispositifs aventureux, des utopies sonores qui entourent l'auditeur de sons inouïs qu'un souffle créateur choisit (ou non) d'investir.

    Le concert d'ouverture présentait ainsi Ius locis de l'Italien Valerio Sannicandro, qui a la particularité de relier par fibre optique un ensemble à Beaubourg (l'Ensemble Intercontemporain dirigé par François-Xavier Roth) à un groupe de six musiciens situé quelques centaines de mètres plus loin à l'IRCAM. On parlera avant tout d'utopie économique tant la débauche de moyens – électronique en temps réel, écrans, haut-parleurs pour relier les lieux – apparaît disproportionnée face à une oeuvre à la sonorité hésitante, d'où ne surnage qu'un solo central de clarinette basse.

    Ce n'est qu'après s'être déplacé pour écouter la pièce une seconde fois dans l'autre configuration que l'on comprend le projet de Sannicandro : Ius Locis pose d'étonnantes réflexions sur notre perception cognitive du son et de l'espace ; mais de l'oeuvre, on ne retient qu'une trajectoire – merci au solo de clarinette basse ! – comme l'esquisse fascinante d'un bâtiment qu'on n'aurait pas pris la peine de rendre habitable.

    Au cours de ce concert d'ouverture, outre de pétrifiantes Intégrales de Varèse, on aura également pu entendre une reconstitution du pavillon Philips de l'exposition universelle de Bruxelles en 1958, avec le court Poème électronique de Varèse. Authentique cosmogonie qui trace, de la genèse à une hypothétique harmonie entre les hommes, cette oeuvre rejoint la Telemusik pour bande (1966) de Karlheinz Stockhausen, que l'on écoute dans un auditorium de la Maison de la Radio plongé dans le noir.

    Le festival Agora donne ainsi à entendre des utopies originelles, des oeuvres qui font ou essaient de faire retrouver à l'auditeur une perception première, presque enfantine du son. Car c'est l'enfance – période où l'homme n'a pas la connaissance de la séparation, de la distance –, qui tisse le lien subtil qui relie l'Utopie à l'Exotisme d'une programmation mûrement réfléchie. Ainsi du Sprechgesang pour hautbois et ensemble de Jonathan Harvey qui articule instrumentalement le passage qu'effectue l'enfant entre le cri, le babillage et le langage symbolique – passionnante idée, à la réalisation un peu désincarnée –, ou du Vesperbild de Mauro Lanza, qui associe de façon énergique textures à la Grisey et instruments jouets. On retiendra au cours de même concert l'ébouriffante maîtrise de l'ensemble allemand MusikFabrik.

    Édifices formels intrigants

    Pour ce premier week-end du festival, l'amateur de musique aura ainsi pu admirer des édifices formels intrigants, ressentir entre les interstices le lyrisme incantatoire de Claude Vivier – Lonely Child, dirigé par Reinbert de Leeuw à la tête du Philharmonique de Radio France, sorte d'équivalent spectral à la contemporaine 3e symphonie de Gorecki –, penser finalement que les concerts avec orchestre sont moins stimulants que pareilles expériences – créations appliquées aux orchestrations virtuoses, massive et lyrique pour le premier, raffinée et suggestive pour la seconde de Dai Fujikura et Misato Moshizuki – mais c'est dans Exotica de Mauricio Kagel que le mélomane trouve le point de convergence de ses réflexions et le ravissement physique que procure aussi la musique contemporaine.

    On avait entendu au Printemps des Arts dernier Acustica du même auteur : atterrante suite de bruits de clefs, de papiers froissés, juxtaposés quarante minutes durant. On redoutait que les six musiciens de l'Ensemble Modern munis d'un arsenal de deux cents instruments extra-européens (tels des gongs balinais, des cloches africaines en fer à cheval, des crécelles à vilebroquin, des cors d'éléphant indien
    ) venus des quatre autres continents, ne reproduisent pareille mésaventure. Or dès les premières « mesures Â» – un musicien psalmodiant une dramaturgie japonaise –, la magie opère : sans que l'on sache vraiment s'il s'agit d'une parodie ou d'un hommage, on se retrouve, propulsé au gré des alliages, en Afrique, au centre d'une cérémonie tibétaine, à une fête dansante en plein milieu du désert. La simultanéité musicale crée une impression totale d'ubiquité, d'être ici et ailleurs, dans un lieu purement musical .

    La musique la plus sophistiquée rejoint la plus ancestrale des musiques ; hurlant, chantant, les musiciens de l'Ensemble Modern dirigés par Mauricio Kagel donnent à entendre des transitions élaborées, des agencements de sons extrêmement raffinés. Exotica montre admirablement à quel point la musique contemporaine est en réalité une musique des origines : par le prisme d'une écriture complexe, on en vient à savourer le bruit d'une percussion contre une peau, d'une mélodie qui naît, d'un son inconnu ; on retrouve le plaisir du son, la musique se joue dans l'instant.




    Mercredi 6 juin, Centre Pompidou, Grande salle

    Soirée où l'on choisissait le lieu du premier concert et où l'on se déplaçait à l'entracte pour rejoindre un autre lieu de représentation

    Edgar Varèse (1883-1965)
    Intégrales
    Valerio Sannicandro (*1971)
    Ius Locis (ensemble 2)
    Création mondiale

    IRCAM, Espace de Projection

    Valerio Sannicandro (*1971)
    Ius Locis (ensemble 1)
    Edgar Varèse (1883-1965)
    Poème électronique (Projection du projet Virtual Electronic Poem)

    Ensemble Intercontemporain
    direction : François-Xavier Roth
    réalisation informatique musicale IRCAM : Serge Lemouton


    Jeudi 7 juin, Musée du Quai Branly

    Mauricio Kagel (*1931)
    Morceau de concours pour deux trompettes
    Exotica, pour instruments extra-européens

    Ensemble Modern
    Valentin Garvie, Isao Nakamura, Rainer Römer, Sava Stoianov, Ueli Wiget, Rafal Zambrzycki-Payne
    direction : Mauricio Kagel


    Samedi 9 juin, Maison de la Radio, Salle Olivier Messiaen

    17 h
    Claude Vivier (1948-1983)
    Paramaribo
    Jonathan Harvey (*1939)
    Sprechgesang, concerto pour hautbois et ensemble
    Création française
    Peter Veale, hautbois
    Karlheinz Stockhausen (*1928)
    Telemusik pour bande
    Mauro Lanza (*1975)
    Vesperbild pour ensemble, instruments-jouets et électronique

    Ensemble MusikFabrik
    direction : Etienne Siebens
    réalisation informatique musicale IRCAM : Olivier Pasquet

    20 h
    Dai Fujikura (*1977)
    Swarming Essence, pour orchestre et électronique
    Création mondiale
    Jonathan Harvey (*1939)
    Calling Across Time
    Misato Mochizuki (*1969)
    L'heure bleue
    Claude Vivier (1948-1983)
    Lonely Child, pour soprano et orchestre
    Gillian Webster, soprano

    Orchestre Philharmonique de Radio-France
    direction : Reinbert de Leeuw
    réalisation informatique musicale IRCAM : Manuel Poletti




    Le 15/06/2007
    Laurent VILAREM



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