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CHRONIQUES
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25 avril 2024
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Par un effet relevant de la mise en abyme, le cycle la Passion du chant selon Pierre-Laurent Aimard se révèle emblématique de la politique artistique mise en oeuvre par Gerard Mortier à l'Opéra national de Paris depuis son arrivée : les chanteurs se mettent au service d'une pièce, voire d'un concept, et non l'inverse.
Partant du principe que « les récitals vocaux et leurs sentiers battus présentent le risque de privilégier la mise en valeur de la star au détriment du contenu programmatique », le pianiste français a voulu « composer des soirées originales mêlant plaisir de la découverte, répertoires d'époques variées et interaction entre le vocal et l'instrumental », donnant naissance à l'anti-récital, comme pour venger la cohorte d'accompagnateurs relégués au rang de faire-valoir par un exercice ayant parfois tendance à tourner au culte de la personnalité. Par-delà la fascination qu'elle suscite, la voix n'est-elle pas, aussi, un instrument parmi d'autre ?
Sans doute Susan Graham était-elle trop star pour se plier tout à fait à ces exigences. La part de musique instrumentale – Sonate pour violoncelle et piano, deux Études pour piano de Debussy, et la Sonatine pour flûte et piano de Boulez – restait donc relativement réduite, et les cycles de mélodies proposés en première partie tout sauf rares : Trois poèmes de Stéphane Mallarmé de Debussy peu intelligibles, suivis de Chansons madécasses de Ravel d'une envoûtante sensualité prosodique et vocale. Moins courants, les Songs du compositeur américain Charles Ives, que la mezzo-soprano défend ardemment, notamment au disque, déjà avec Pierre-Laurent Aimard, n'en sont pas moins accessibles.
Par contraste, le programme établi autour de la personnalité caméléon de Mireille Delunsch, sans doute infiniment mieux disposée à se couler dans ce type de projet, a semblé excessivement ardu, voire aride. Sous prétexte d'enchâsser des pièces vocales introspectives dans un écrin instrumental d'humeur plus expansive, Aimard a élevé autant d'obstacles pour la soprano française, d'autant que les Lieder et mélodies choisis la contraignaient pour la plupart dans des tessitures peu flatteuses, et une déclamation souvent anti-vocale à laquelle un allemand aux consonnes chantantes, mais aux voyelles peu définies n'était pas toujours à même de rendre justice.
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Mais si les Schumann n'échappent pas toujours au flou de la séance de déchiffrage, Gebet (Prière) de Franz Liszt cisèle son réconfort. Vocalement libérateur, Requiem po drugu de György Kurtag, où le piano à la pointe sèche de Pierre-Laurent Aimard se pare de sonorités d'un autre monde, est le concentré incandescent d'une ardeur consumée que prolonge les Cinq Lieder op. 16 de Bartók, émanations de l'au-delà sur lesquelles la voix de Mireille Delunsch vient se briser dans un souffle mortifère. Dès lors, n'était-il pas déplacé de conclure – longuement – par de trop brillants Contrastes pour violon, clarinette et piano, au risque d'occulter la prestation de la chanteuse ?
Rien de tel avec Christine Schäfer, qui a su rétablir la balance en sa faveur, quitte à frôler ces « sentiers battus » dont Aimard souhaitait s'écarter en présentant des pièces qui, il le confesse, n'auraient jamais dû figurer dans un même programme. C'est qu'en elle le pianiste semble avoir trouvé un double. Mus par la même curiosité, le même éclectisme, la soprano et son accompagnateur d'un soir emploient en effet un langage musical commun fondé sur la précision de l'articulation, la pureté du son, et une approche dénuée de sentimentalisme. Loin de le ternir, le léger voile qui recouvre le timbre de Christine Schäfer jusque dans le haut-médium colore les Mélodies anglaises de Haydn d'une troublante nostalgie.
Malgré les sonorités irréelles du glass harmonica dans l'Adagio et Rondo K. 617 de Mozart – clin d'œil à la chanson si décriée du récitativiste dans les Noces de Figaro version Cambreling-Marthaler ? – censées l'introduire, Apparition de George Crumb, cycle de chants élégiaques sur des poèmes de Walt Whitman et de vocalises, crée un absolu contraste, d'autant que, piano préparé et amplifié, joué à même les cordes, vocalité tendue, imitative, les interprètes s'y révèlent confondants de maîtrise. Le langage objectif, totalement détaché du texte, de Webern ne leur est pas moins naturel, et nourrit des Wolf d'une intensité croissante, jusqu'à la déchirure quasi-expressionniste du timbre de la soprano allemande dans les Hinterm Berg du Cavalier de feu, apogée de ce dialogue permanent entre la voix et l'instrument qui fait les grands récitals de chant.
La passion du chant selon Pierre-Laurent Aimard, Palais Garnier
11 mars 2007
Claude Debussy (1862-1918)
Sonate pour violoncelle et piano
Trois poèmes de Stéphane Mallarmé, pour mezzo-soprano et piano
Études pour piano (extraits)
Maurice Ravel (1875-1937)
Chansons madécasses pour mezzo-soprano, flûte, violoncelle et piano
Pierre Boulez (*1925)
Sonatine pour flûte et piano
Charles Ives (1874-1954)
Songs
Susan Graham, mezzo-soprano
Catherine Cantin, flûte
Cyrille Lacrouts, violoncelle
Pierre-Laurent Aimard, piano
24 juin 2007
Robert Schumann (1810-1856)
Chant de l'aube, op. 133 n° 1
Lieder
Märchenerzählungen pour clarinette, alto et piano, op. 132
Franz Liszt (1811-1886)
Nuage gris
Lieder
Elégie pour harpe, harmonium, piano et violoncelle, S. 130
György Kurtag (*1926)
c'est arrivé ainsi
Requiem po drugu
Six Bagatelles pour flûte, contrebasse et piano
BĂ©la BartĂłk (1881-1945)
Nénie op. 9a, n° 4
MĂ©lodies op. 16
Contrastes pour violon, clarinette et piano, Sz. 111
Mireille Delunsch, soprano
Frédéric Laroque, violon
Laurent Verney, alto
Martine Bailly, violoncelle
Daniel Marillier, contrebasse
Frédéric Chatoux, flûte
Jean-François Verdier, clarinette
David Lootvoet, harpe
Denis Dubois, harmonium
Pierre-Laurent Aimard, piano
1er juin 2007
Joseph Haydn (1732-1809)
MĂ©lodies anglaises
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Adagio et Rondo pour glass harmonica, flûte, hautbois, alto et violoncelle, K. 617
George Crumb (*1929)
Apparition, pour soprano et piano
Anton Webern (1883-1945)
Cinq Lieder op. 3
Trois Lieder op. 25
Karlheinz Stockhausen (*1928)
Tierkreis
Hugo Wolf (1860-1903)
Mörike-Lieder
Christine Schäfer, soprano
Diederik Suys, alto
Martine Bailly, violoncelle
Frédéric Chatoux, flûte
Jacques Tys, haubois
Sascha Reckert, Philippe Marguerre, glass harmonica
Pierre-Laurent Aimard, piano
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