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CHRONIQUES
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19 avril 2024
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Dans le sillage du triomphe d'Atys, auquel les Harnoncourt, Malgoire, Gardiner avaient ouvert la voie, naissait en 1987 le Centre de Musique Baroque de Versailles, formidable laboratoire archéologique entièrement dédié à la redécouverte d'un patrimoine réduit au silence durant près de deux cents ans. Vingt ans plus tard, grâce à l'acharnement de quelques irréductibles défricheurs, les Boesset, Lambert, Dumont, Destouches, Mondonville, Leclair sont sortis de l'anonymat dans lequel les avait plongés la Révolution française.
Et pour célébrer cette renaissance, qui ne fut pas sans heurt – à l'enthousiasme, l'élan de l'enfance ont succédé les errements de l'adolescence, avant qu'Hervé Burckel de Tell ne reprenne la barre de l'audacieux navire –, tous ses artisans, des précurseurs à la jeune garde, se sont donnés rendez-vous quatre week-ends durant, qui sont autant de règnes, investissant jusqu'au moindre recoin du Château de Versailles.
Duel au sommet
Louis XIV se devait d'ouvrir le feu, avec un duel au somment, sacré contre profane, Charpentier contre Lully, bien que ce dernier se soit immiscé à la Chapelle l'espace d'un Salve Regina, dans le programme concocté par William Christie. Privilégiant la petite forme – ah ! ce « petit » Te Deum à quatre voix –, le fondateur des Arts Florissants s'est entouré de jeunes chanteurs issus du Jardin des voix qui réinsufflent à son geste cette ardeur pionnière qui animait ses gravures des années 1980, la magie du lieu achevant d'élever les Litanies de la Vierge vers un ailleurs transcendé.
Sur le théâtre, relégué à la Grande Écurie – acoustique superlative comparée à celle de l'Opéra, actuellement fermé pour travaux –, Lully régna en monarque absolu, imposant son modèle à tous ses successeurs. Antépénultième tragédie en musique du compositeur, Amadis, créé en 1684, célèbre le triomphe des amours du rôle-titre, fils du roi de Gaule, et d'Oriane, fille du roi de Grande-Bretagne, sur la jalousie de la magicienne Arcabonne.
De sa voix d'ample lumière, où déclamation et ornementation semblent couler de source, Véronique Gens domine tous les personnages féminins avec une ardeur majestueuse. Et si Olivier Schneebeli obtient d'emblée de ses Chantres, dont l'effectif vient d'être en grande partie renouvelé, des sonorités fortement caractérisées, il ne parvient pas à infléchir la texture infiniment poétique de Musica Florea avec autant d'acuité.
Un moelleux inapprochable
Comme à Louis XIV succéda Louis XV, Rameau succéda à Lully, sans toutefois hériter des prérogatives de ce dernier. Cette fois en compagnie des Talens Lyriques, dont les timbres s'épanouissent avec faste dans la Galerie des Batailles, et en totale osmose avec Christophe Rousset, dont les gestes cursifs exaltent la jouissance motorique des danses, Véronique Gens déploie au gré des amoureuses tragiques un instrument d'un moelleux inapprochable, que jamais n'amoindrissent les arabesques ornementales, captivant l'acoustique pour suspendre dans l'éther les clartés funèbres des Tristes apprêts de Télaïre.
À la Chapelle royale, Hervé Niquet entraîne les grands motets Quam Dilecta et In Convertendo dans une respiration ample, qui est loin de lui être évidente, et expressive, s'appuyant sur un Concert Spirituel, orchestre et surtout choeur – quelle précision dans l'intonation des dessus ! –, plus qu'à la hauteur de la grande forme. À l'exception du dessus lumineux et ductile de Stéphanie Révidat, ses solistes convainquent davantage par leur maîtrise du style et une conduite comme innée de la phrase que par la séduction des timbres, en particulier la taille excessivement claire de Marc Mauillon.
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Beauté allégorique
Découverte enfin, que cette Égine de François Colin de Blamont – plus exactement le prologue et le premier acte des Fêtes de Thétis, complétés lors de la création le 14 janvier 1750 sur le Théâtre des Petits Appartements de Madame de Pompadour, qui y tenait le rôle d'Égine, par Titon et l'Aurore de Bernard de Bury. Respectueux du modèle ramiste, et toujours attrayant, Blamont n'en surprend pas moins l'aventure d'Egine et Jupiter par des pointes d'harmonies audacieuses et de tendresses préclassiques.
D'une beauté allégorique, la Thétis de Caroline Mutel illumine le prologue de ses aigus d'étincelle, quand l'Égine souple et claire de Virginie Pochon enchante. Toujours excellent diseur, le Jupiter claironnant de Jean-Sébastien Bou tend à disparaître dans le bas de la tessiture, mais le Sisyphe d'Arnaud Marzorati timbre jusqu'aux abysses de la jalousie avec délectation.
Peut-être la fougue de Sébastien d'Hérin friserait-elle l'agitation si elle ne se traduisait chez ses Nouveaux Caractères par une sensualité aussi urgente, mais elle incarne à merveille l'esprit de ces célébrations profuses, fastueuses, juste reflet d'une musique baroque française en perpétuelle reconquête.
21 septembre
20h, Manège de la Grande Écurie
Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
Amadis, tragédie en musique en cinq actes avec prologue (1684)
Livret de Philippe Quinault
(extraits)
VĂ©ronique Gens, dessus
Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles
Musica Florea (direction artistique : Marek Strynckl)
direction : Olivier Schneebeli
22h, Chapelle royale
Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)
Te Deum Ă quatre voix (H. 147)
Magnificat (H. 73)
Litanies de la Vierge Ă six voix et deux dessus de violes (H. 83)
Jean-Baptiste Lully
Salve Regina en ré mineur (LWV 77)
Claire Debono, Ana Quintas, dessus
Amaya Dominguez, bas-dessus
Andrew Tortise, haute-contre
Marc Mauillon, basse-taille
Jonathan Sells, basse
Les Arts Florissants
clavecin, orgue et direction : William Christie
14 octobre
17h, Galerie des Batailles
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Extraits d'Hippolyte et Aricie, Castor et Pollux, les Talens Lyriques et Zoroastre
VĂ©ronique Gens, dessus
Les Talens Lyriques
direction : Christophe Rousset
19h, Chapelle royale
Jean-Philippe Rameau
Quam Dilecta
In Convertendo
Stéphanie Révidat, Hanna Bayodi, dessus
Mathias Vidal, haute-contre
Marc Mauillon, taille
Stephan MacLeod, basse-taille
Le Concert Spirituel
direction : Hervé Niquet
20h30, Galerie des Batailles
François Colin de Blamont (1690-1760)
Égine (1750)
Prologue et premier acte des Fêtes de Thétis, Ballet héroïque en deux actes et un prologue
Livret de Pierre-Charles Roy
Virginie Pochon (la Seine, Égine)
Caroline Mutel (Thétis)
Jean-SĂ©bastien Bou (Mercure, Jupiter)
Arnaud Marzorati (Sisyphe)
Les Nouveaux Caractères
clavecin et direction : SĂ©bastien d'HĂ©rin
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