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CHRONIQUES
24 avril 2024

Gardiner likes Brahms

À l'incontournable question « aimez-vous Brahms ? », John Eliot Gardiner répondrait sans doute par l'affirmative, à en juger par le mal qu'il s'est donné pour concevoir le cycle « Brahms et ses prédécesseurs » de la salle Pleyel. Vaste et passionnant tour d'horizon d'un oeuvre tourné, pour l'une des premières fois de l'Histoire de la musique, vers un passé lointain.
 

Le 18/11/2007
Yannick MILLON
 



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  • Le temps semble bien loin où un spectateur parisien réfractaire à toute expérimentation avait crié « trahison ! Â» à l'issue d'une Missa solemnis de Beethoven par William Christie. Aujourd'hui, avant même qu'il n'ait dirigé une seule note d'un répertoire plus éloigné encore du baroque, John Eliot Gardiner est salué par une chaleureuse acclamation. C'est finalement rendre justice à l'un des baroqueux historiques qui a su non seulement secouer la tradition à une certaine époque, mais aussi durer, contrairement à certains de ses compagnons de révolution.

    Car chez le britannique, le travail est toujours patent. Cet ambitieux cycle « Brahms et ses prédécesseurs Â» à la salle Pleyel en est la preuve, qui, dans une pléthore de pièces radicalement différentes d'atmosphère, d'écriture, d'effectif, jamais ne sombre dans l'anecdotique, et parvient même, le deuxième soir, à tenir la salle en haleine pendant une heure et demie dans sa première partie.

    Schubert en apesanteur

    Les programmes se déroulent tel un rituel : pièces courtes dans un premier temps, chef-d'oeuvre brahmsien après l'entracte. Inévitable, l'hommage à Schumann, Mendelssohn et tout naturellement Schubert, avec un Chant des esprits sur les eaux d'une rondeur, d'une homogénéité vocale surnaturelles, d'une qualité de fusion des timbres, de précision dans l'aigu mezza voce des ténors probablement sans concurrence à l'heure actuelle.

    Excellente introduction au Requiem allemand, les chorals Es ist genug de Ahle et Bach, et surtout les motets Selig sind die Toten et Wie lieblich sind deine Wohnungen de Schütz permettent de prendre la mesure de l'enracinement de Brahms dans l'histoire de la musique germanique. Le Monteverdi Choir en scande le texte avec un art savant de la rhétorique, du dosage des consonnes et un travail sur les intervalles purs qui sont un bonheur pour l'oreille.

    Abîmes de souffrance

    On retiendra aussi particulièrement une Rhapsodie pour alto austère et dramatique, où les intentions tout en instrumentalité de Nathalie Stutzmann, avec ce timbre contre-ténorisant si troublant, ouvrent des abîmes de souffrance, de solitude, où Gardiner délivre quelques accès de violence désespérée du plus bel effet, contraste total avec le chic so british des Variations sur un thème de Haydn qui ouvraient le concert, bijoux ciselés avec souvent un petit côté Enigma Variations d'Elgar !

    Plat de résistance des premières soirées, les 1re et 2e symphonies affichent un dégraissage radical et une pâte sonore anguleuse. Adeptes d'un Brahms romantico-mystico-dépressif, passez votre chemin ! Tempi prestes et tutti visant à décrasser le moteur brahmsien, la 1re symphonie ne tousse qu'en s'enferrant parfois dans une certaine rigidité, dans une impitoyable rythmique beethovénienne, avec un aspect work in progress, un manque de patine qui peuvent heurter.

    La pureté d'un violon sans vibrato

    Mais les cordes parviennent à chanter dans ce carcan, et le violon solo du mouvement lent, exempt de vibrato, sonne avec une pureté immaculée. La 2e symphonie est sans doute plus réussie, car laissant ses motifs s'épanouir naturellement, dans une partie de campagne traversée d'un lyrisme moins décharné. Sans doute aussi parce que Gardiner ne parvient pas à se défaire de ralentis dans les transitions, de suspensions directement issus de la tradition.

    On retient pourtant de ces lectures le projet du chef britannique plus que l'aspect expérimental des sonorités, car malgré l'excellence de l'Orchestre révolutionnaire et romantique, les instruments d'époque ne sonneront décidément jamais comme une révélation dans les symphonies de Brahms – hormis dans la mise en valeur inédite du contrebasson –, sacrifiant par trop la stabilité d'embouchure des cors – on a certes connu maîtres de l'instrument naturel plus assurés que cette jeune souffleuse qui canarde à qui mieux mieux – et tendant à la sur-individualisation des timbres, trahissant par là-même un art de l'orchestration seulement relatif, à l'opposé du glorieux fondu karajanesque qui en sublimait la grisaille.

    Un Requiem allemand aussi fulgurant que peu protestant

    Point d'orgue du cycle, un Requiem allemand d'un élan grisant, presque aussi constamment jubilatoire que privé de germanité, de sévérité, d'austérité protestante. Peu d'angoisse métaphysique mais un brillant, un luxe de détails, une poigne au service d'une lecture célébrant sans doute plus les fastes du Messie ou l'énergie haletante de la Missa solemnis que le parcours à chaque numéro renouvelé de l'obscurité à la lumière du Deutsches Requiem – beaucoup moins au confluent des influences que les motets – mais dont les emballements balaient tout sur leur passage – fugues du II, du VI.

    Le Monteverdi Choir, en état de grâce, d'une bouleversante lumière mais d'un séraphisme trop systématique dans les piano – comment entrevoir l'inquiétude, l'angoisse dans ces timbres inlassablement radieux ? –, plus encore que le Collegium Vocale d'Herreweghe, déjà trop serein mais flamand, donc plus proche de l'esprit, sonne avec un soin infini, une transparence qui sont du pain bénit devant les embûches techniques dont regorge l'ouvrage – la facilité des sopranos dans la transition qui mène à la grande fugue du III ne laisse pas de déconcerter.

    Le soprano étranglé et l'intonation tangente de Camilla Tilling, ailleurs magnifique, sont ici parfaitement anonymes, tandis que le baryton poussif, en rien prophétique de Matthew Brook, qui n'a à offrir qu'une excellente diction, se perd dans une théâtralité douteuse. Quelques avatars dans un cycle Brahms à marquer d'une pierre blanche.




    Brahms et ses prédécesseurs, salle Pleyel, Paris.

    15/11/2007

    Johannes Brahms (1833-1897)
    Variations sur un thème de Haydn, op. 56a (1873)

    Franz Schubert (1797-1828)
    Gruppe aus dem Tartarus, D. 583 (1817)
    An Schwager Kronos, D. 369 (1816)
    Transcriptions de Brahms pour choeur d'hommes et orchestre
    Gesang der Geister über den Wassern, D. 714 (1821)

    Johannes Brahms (1833-1897)
    Rhapsodie pour alto, choeur d'hommes et orchestre, op. 53 (1870)
    Nathalie Stutzmann, alto
    Symphonie n° 1 en ut mineur, op. 68 (1876)


    16/11/2007

    Johannes Brahms (1833-1897)
    Nänie, op. 82 (1881)

    Robert Schumann (1810-1856)
    Nachtlied, op. 108 (1849)

    Felix Mendelssohn (1809-1847)
    Mitten wir im Leben sind, op. 23 (1830)

    Johannes Brahms (1833-1897)
    Warum ist das Licht, op. 74 (1877)
    Schaffe in mir, Gott, op. 29 (1860)
    Schicksalslied, op. 54 (1871)
    Symphonie n° 2 en ré majeur, op. 73 (1877)


    18/11/2007

    Johannes Brahms (1833-1897)
    Begräbnisgesang, op. 13 (1859)

    Heinrich Schütz (1585-1672)
    Selig sind die Toten, SWV 391 (1648)

    Johann Rudolf Ahle (1625-1673)
    Es ist genug (1662)
    Transcription de Johannes Brahms

    Johann Sebastian Bach (1685-1750)
    Es ist genug, extrait de la Cantate BWV 60 (1723)

    Heinrich Schütz (1585-1672)
    Wie lieblich sind deine Wohnungen, SWV 29 (1619)

    Johann Christoph Bach (1642-1703)
    Es ist nun aus mit meinem Leben

    Johannes Brahms (1833-1897)
    Ein deutsches Requiem, op. 45 (1869)
    Camilla Tilling, soprano
    Matthew Brook, bayrton

    The Monteverdi Choir
    Orchestre révolutionnaire et romantique
    direction : Sir John Eliot Gardiner




    Le 18/11/2007
    Yannick MILLON



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