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CHRONIQUES
19 avril 2024

Beaune 2008 :
Nulle part ailleurs


Lawrence Zazzo

À l’heure où la musique dite classique semble irrémédiablement entrée dans la dynamique implacable d’un marketing globalisé qui risque, à terme, de la dénaturer, Beaune demeure, comme au premier jour, un bastion de l’artisanat. Rendez-vous incontournable d’une grande famille baroque qui ne cesse de s’agrandir, le festival allie chaque année fidélité et découvertes.
 

Le 27/07/2008
Mehdi MAHDAVI
 



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  • Qu’est-ce qu’un festival ? Une fĂŞte d’abord. Il semble utile de le rappeler quand de plus en plus de manifestations s’alignent sur une logique commerciale, tournant certes inĂ©vitable dans un secteur que la globalisation n’a pas Ă©pargnĂ©, alors mĂŞme que son Ă©conomie est, Ă  quelques exceptions près, incompatible avec la loi du profit Ă  tout prix. Donc, si l’on courait autrefois les festivals, ces théâtres improvisĂ©s qui s’enchantaient l’espace d’un concert, c’était pour y ressentir le plaisir Ă  nul autre pareil d’assister Ă  un Ă©vĂ©nement d’autant plus magique qu’unique, et non entendre ce qui, quelques mois, parfois quelques semaines plus tard, allait se rĂ©chauffer au confort acoustique et visuel d’une grande salle parisienne.

    Grâce à la passion, souvent au courage de sa directrice artistique Anne Blanchard, Beaune demeure l’un de ces lieux d’exception. Et l’on y revient chaque année car on s’y sent chez soi, pour ainsi dire entre amis, dans un rapport simple, convivial avec les artistes – sans vigile ronchon pour vous barrer la route des loges comme à Aix-en-Provence –, et surtout spectateur privilégié de moments musicaux uniques. À quelle autre occasion un artiste accepterait-il de concocter un programme hors des sentiers battus par le disque, formaté pour faire salle comble – aucun risque ici, le public est fidèle, attentif et concerné ?

    L’esprit même du festival de Beaune

    Après ses débuts locaux dans un programme consacré aux habituels Haendel et Vivaldi, le contre-ténor américain Lawrence Zazzo s’est ainsi vu suggérer par Anne Blanchard une confrontation entre Cavalli et Purcell. Si l’Anglais est emblématique de la voix de falsettiste depuis son réveil par Alfred Deller, son aîné italien ne sort que trop rarement de l’ombre de Monteverdi, dont il fut le disciple, alors que son rôle dans l’évolution de l’opéra au cours du XVIIe siècle n’a d’égal que la séduction immédiate de son écriture.

    Scènes de genres par excellence de l’opéra baroque, et terrains d’entente des expressions nationales, l’enchantement, la folie et le sommeil ont permis d’établir entre les deux compositeurs un lien dramaturgique propice à l’expression de sentiments éminemment contrastés que Lawrence Zazzo investit de sa palette singulièrement large. Car l’alliage unique d’ampleur et de beauté du timbre, de sincérité spontanée et de raffinement déclamatoire, d’engagement dramatique et de belcantisme cultivé, fait de l’interprète fétiche de René Jacobs, dont il prolonge idéalement les intentions dramatiques et musicales – jusqu’au point culminant atteint dans Giulio Cesare de Haendel –, un cas à part parmi les contre-ténors d’aujourd’hui, aussi incontournable grâce à ses seuls talents qu’à l’écart du battage médiatique, et de ce fait même libre d’une pression souvent contraignante. L’incarnation même de l’esprit du festival, éclairée par l’excellence complice des Plaisirs du Parnasse de David Plantier.

    Un formidable tremplin

    Beaune est aussi, et depuis le début, un formidable tremplin. Dernière révélation en date, le Cercle de l’Harmonie, mené par Jérémie Rhorer et Julien Chauvin. Où aurait-on osé confier Idoménée de Mozart à un jeune chef, certes adoubé par ses plus glorieux aînés, et à son ensemble encore balbutiant ? Concert unique et fulgurant, de ceux qui tracent une voie royale. Ainsi, les Noces de Figaro de l’édition suivante furent immédiatement reprises au Théâtre des Champs-Élysées avec une distribution plus prestigieuse, mais pas meilleure pour autant. Et pour Orphée et Eurydice, les coproducteurs se sont multipliés.

    Distribuer le rôle du chantre thrace dans la version parisienne de l’opéra de Gluck constitue un défi. Quant à le remplacer, il s’agit d’une véritable gageure. Le ténor finlandais Topi Lehtipuu, pour qui le projet avait été conçu, ayant déclaré forfait, Stefano Ferrari, Idoménée en 2006, a accepté de se mesurer aux multiples embûches semées à l’intention de Joseph Legros, haute-contre à la française de lignée ramiste que Gluck pousse dans ses retranchements tant expressifs que vocaux – les écarts de registres périlleux d’un ambitus de deux octaves sollicité en permanence, et que le diapason à 430 Hz ne rend pas nécessairement plus confortable, une écriture alternant délicatesse, haute virtuosité et les accents d’une douleur quasi-réaliste.

    L’italianità native du ténor, son émission portée à l’héroïsme dans l’aigu n’étaient quelques passages habilement négociés en voix de tête plutôt que mixte, s’écartent sans doute d’un certain idéal stylistique. Mais la diction exemplaire, qui ne se départit pas çà-et-là de pointes d’accent peu idiomatiques, l’abattage technique de l’acrobatique l’espoir renaît dans mon âme, et plus encore la sincère probité de l’interprète forcent l’admiration. Incandescente Iphigénie au Palais Garnier puis à Beaune, Maria Riccarda Wesseling est l’évidence même en Eurydice, maîtrisant la déclamation gluckiste avec cette sensibilité dont le compositeur inaugura le règne sur la scène lyrique, rompant avec les affetti de l’opera seria et les passions de la tragédie en musique. Et par la grâce du timbre, un constant sourire vocal, l’Amour et Magali Léger ne font qu’un.

    Nous avons déjà souvent souligné l’élan irrépressible de la battue de Jérémie Rhorer, ainsi que le son déjà reconnaissable qui en résulte. Mais c’est ici son expressivité qui frappe d’emblée, en un tourbillon qui met à nu l’âme d’Orphée : traité en écho à Objet de mon amour, dont la structure héritée des airs de tragédie lyrique alterne strophes et récitatifs, le célébrissime J’ai perdu mon Eurydice prend un relief aussi saisissant qu’inattendu. Si nous nous refusons à jouer les devins en prédisant le plus bel avenir au Cercle de l’Harmonie, nous n’oublierons jamais de nous souvenir qui a œuvré à son irrésistible ascension.

    Une texture limpide et raffinée

    Enfants du festival, où ils donnèrent eux aussi leur premier opéra, Christophe Rousset et ses Talens Lyriques montrent quant à eux l’exemple de la fidélité. Dans un programme consacré à la musique sacrée de l’Aixois André Campra et du Dijonnais Jean-Philippe Rameau, grand absent de sa terre natale – l’appel lancé par Anne Blanchard aux donateurs susceptibles de permettre la réalisation d’un de ses opéras dans la cour des Hospices n’en était que plus pressant –, l’ensemble français déploie une texture limpide et raffinée, fruit d’un équilibre idéal tant entre les pupitres qu’en leur sein même, se préservant de cette pesanteur dans laquelle sombre la plupart des orchestres lorsqu’ils s’accordent au diapason baroque français.

    Moments de grâce que les trios de haute-contre, taille et basse du De Profundis de Campra, et de dessus et basse du Quam Dilecta de Rameau, ainsi que la moindre intervention du ténor Emiliano Gonzalez-Toro, dont le timbre latin et l’art vocal inspiré ne cessent de nous subjuguer, que ce soit dans Monteverdi ou les parties plus aiguës de haute-contre à la française.

    Prenant des allures de chœur en résidence, les Éléments de Joël Suhubiette se plient avec une égale souplesse sonore, dynamique et déclamatoire à l’expressivité homorythmique de Gluck et à la clarté ornementale comme au recueillement dépouillé de Campra et Rameau.




    26e édition du Festival International d’Opéra Baroque de Beaune

    25 juillet, Salle des PĂ´vres des Hospices


    Enchantement, Folie et Sommeil dans la musique de Francesco Cavalli (1602-1676) et Henry Purcell (1659-1695)
    Lawrence Zazzo, contre-ténor

    Les Plaisirs du Parnasse
    violon et direction : David Plantier
    violon : Olivia Centurioni
    viole de gambe : Friedericke Heumann
    archiluth : Yasunori Imamura
    clavecin et orgue : Adrea Marchiol

    26 juillet, Basilique Notre-Dame

    Christoph Willibald Gluck (1714-1787)
    Orphée et Eurydice, tragédie opéra en trois actes (1774)
    Livret de Pierre-Louis Moline, d’après la version italienne de Ranieri de’ Calzabigi (1762).

    Stefano Ferrari (Orphée)
    Maria Riccarda Wesseling (Eurydice)
    Magali LĂ©ger (Amour)

    Les Éléments
    Le Cercle de l’Harmonie
    direction : Jérémie Rhorer

    27 juillet, Basilique Notre-Dame

    André Campra (1660-1744)
    De Profundis
    Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)
    Symphonies pour un reposoir
    Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
    Quam Dilecta
    André Campra
    Messe de Requiem

    CĂ©line Scheen, dessus I
    Salomé Haller, dessus II
    Emiliano Gonzalez-Toro, haute-contre
    Robert Getchell, taille
    Matthew Brook, basse

    Les Éléments
    Les Talens Lyriques
    direction : Christophe Rousset




    Le 27/07/2008
    Mehdi MAHDAVI



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