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CHRONIQUES
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19 avril 2024
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Qu’est-ce qu’un festival ? Une fête d’abord. Il semble utile de le rappeler quand de plus en plus de manifestations s’alignent sur une logique commerciale, tournant certes inévitable dans un secteur que la globalisation n’a pas épargné, alors même que son économie est, à quelques exceptions près, incompatible avec la loi du profit à tout prix. Donc, si l’on courait autrefois les festivals, ces théâtres improvisés qui s’enchantaient l’espace d’un concert, c’était pour y ressentir le plaisir à nul autre pareil d’assister à un événement d’autant plus magique qu’unique, et non entendre ce qui, quelques mois, parfois quelques semaines plus tard, allait se réchauffer au confort acoustique et visuel d’une grande salle parisienne.
Grâce à la passion, souvent au courage de sa directrice artistique Anne Blanchard, Beaune demeure l’un de ces lieux d’exception. Et l’on y revient chaque année car on s’y sent chez soi, pour ainsi dire entre amis, dans un rapport simple, convivial avec les artistes – sans vigile ronchon pour vous barrer la route des loges comme à Aix-en-Provence –, et surtout spectateur privilégié de moments musicaux uniques. À quelle autre occasion un artiste accepterait-il de concocter un programme hors des sentiers battus par le disque, formaté pour faire salle comble – aucun risque ici, le public est fidèle, attentif et concerné ?
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L’esprit même du festival de Beaune
Après ses débuts locaux dans un programme consacré aux habituels Haendel et Vivaldi, le contre-ténor américain Lawrence Zazzo s’est ainsi vu suggérer par Anne Blanchard une confrontation entre Cavalli et Purcell. Si l’Anglais est emblématique de la voix de falsettiste depuis son réveil par Alfred Deller, son aîné italien ne sort que trop rarement de l’ombre de Monteverdi, dont il fut le disciple, alors que son rôle dans l’évolution de l’opéra au cours du XVIIe siècle n’a d’égal que la séduction immédiate de son écriture.
Scènes de genres par excellence de l’opéra baroque, et terrains d’entente des expressions nationales, l’enchantement, la folie et le sommeil ont permis d’établir entre les deux compositeurs un lien dramaturgique propice à l’expression de sentiments éminemment contrastés que Lawrence Zazzo investit de sa palette singulièrement large. Car l’alliage unique d’ampleur et de beauté du timbre, de sincérité spontanée et de raffinement déclamatoire, d’engagement dramatique et de belcantisme cultivé, fait de l’interprète fétiche de René Jacobs, dont il prolonge idéalement les intentions dramatiques et musicales – jusqu’au point culminant atteint dans Giulio Cesare de Haendel –, un cas à part parmi les contre-ténors d’aujourd’hui, aussi incontournable grâce à ses seuls talents qu’à l’écart du battage médiatique, et de ce fait même libre d’une pression souvent contraignante. L’incarnation même de l’esprit du festival, éclairée par l’excellence complice des Plaisirs du Parnasse de David Plantier.
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Un formidable tremplin
Beaune est aussi, et depuis le début, un formidable tremplin. Dernière révélation en date, le Cercle de l’Harmonie, mené par Jérémie Rhorer et Julien Chauvin. Où aurait-on osé confier Idoménée de Mozart à un jeune chef, certes adoubé par ses plus glorieux aînés, et à son ensemble encore balbutiant ? Concert unique et fulgurant, de ceux qui tracent une voie royale. Ainsi, les Noces de Figaro de l’édition suivante furent immédiatement reprises au Théâtre des Champs-Élysées avec une distribution plus prestigieuse, mais pas meilleure pour autant. Et pour Orphée et Eurydice, les coproducteurs se sont multipliés.
Distribuer le rôle du chantre thrace dans la version parisienne de l’opéra de Gluck constitue un défi. Quant à le remplacer, il s’agit d’une véritable gageure. Le ténor finlandais Topi Lehtipuu, pour qui le projet avait été conçu, ayant déclaré forfait, Stefano Ferrari, Idoménée en 2006, a accepté de se mesurer aux multiples embûches semées à l’intention de Joseph Legros, haute-contre à la française de lignée ramiste que Gluck pousse dans ses retranchements tant expressifs que vocaux – les écarts de registres périlleux d’un ambitus de deux octaves sollicité en permanence, et que le diapason à 430 Hz ne rend pas nécessairement plus confortable, une écriture alternant délicatesse, haute virtuosité et les accents d’une douleur quasi-réaliste.
L’italianità native du ténor, son émission portée à l’héroïsme dans l’aigu n’étaient quelques passages habilement négociés en voix de tête plutôt que mixte, s’écartent sans doute d’un certain idéal stylistique. Mais la diction exemplaire, qui ne se départit pas çà -et-là de pointes d’accent peu idiomatiques, l’abattage technique de l’acrobatique l’espoir renaît dans mon âme, et plus encore la sincère probité de l’interprète forcent l’admiration. Incandescente Iphigénie au Palais Garnier puis à Beaune, Maria Riccarda Wesseling est l’évidence même en Eurydice, maîtrisant la déclamation gluckiste avec cette sensibilité dont le compositeur inaugura le règne sur la scène lyrique, rompant avec les affetti de l’opera seria et les passions de la tragédie en musique. Et par la grâce du timbre, un constant sourire vocal, l’Amour et Magali Léger ne font qu’un.
Nous avons déjà souvent souligné l’élan irrépressible de la battue de Jérémie Rhorer, ainsi que le son déjà reconnaissable qui en résulte. Mais c’est ici son expressivité qui frappe d’emblée, en un tourbillon qui met à nu l’âme d’Orphée : traité en écho à Objet de mon amour, dont la structure héritée des airs de tragédie lyrique alterne strophes et récitatifs, le célébrissime J’ai perdu mon Eurydice prend un relief aussi saisissant qu’inattendu. Si nous nous refusons à jouer les devins en prédisant le plus bel avenir au Cercle de l’Harmonie, nous n’oublierons jamais de nous souvenir qui a œuvré à son irrésistible ascension.
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Une texture limpide et raffinée
Enfants du festival, où ils donnèrent eux aussi leur premier opéra, Christophe Rousset et ses Talens Lyriques montrent quant à eux l’exemple de la fidélité. Dans un programme consacré à la musique sacrée de l’Aixois André Campra et du Dijonnais Jean-Philippe Rameau, grand absent de sa terre natale – l’appel lancé par Anne Blanchard aux donateurs susceptibles de permettre la réalisation d’un de ses opéras dans la cour des Hospices n’en était que plus pressant –, l’ensemble français déploie une texture limpide et raffinée, fruit d’un équilibre idéal tant entre les pupitres qu’en leur sein même, se préservant de cette pesanteur dans laquelle sombre la plupart des orchestres lorsqu’ils s’accordent au diapason baroque français.
Moments de grâce que les trios de haute-contre, taille et basse du De Profundis de Campra, et de dessus et basse du Quam Dilecta de Rameau, ainsi que la moindre intervention du ténor Emiliano Gonzalez-Toro, dont le timbre latin et l’art vocal inspiré ne cessent de nous subjuguer, que ce soit dans Monteverdi ou les parties plus aiguës de haute-contre à la française.
Prenant des allures de chœur en résidence, les Éléments de Joël Suhubiette se plient avec une égale souplesse sonore, dynamique et déclamatoire à l’expressivité homorythmique de Gluck et à la clarté ornementale comme au recueillement dépouillé de Campra et Rameau.
26e édition du Festival International d’Opéra Baroque de Beaune
25 juillet, Salle des PĂ´vres des Hospices
Enchantement, Folie et Sommeil dans la musique de Francesco Cavalli (1602-1676) et Henry Purcell (1659-1695)
Lawrence Zazzo, contre-ténor
Les Plaisirs du Parnasse
violon et direction : David Plantier
violon : Olivia Centurioni
viole de gambe : Friedericke Heumann
archiluth : Yasunori Imamura
clavecin et orgue : Adrea Marchiol
26 juillet, Basilique Notre-Dame
Christoph Willibald Gluck (1714-1787)
Orphée et Eurydice, tragédie opéra en trois actes (1774)
Livret de Pierre-Louis Moline, d’après la version italienne de Ranieri de’ Calzabigi (1762).
Stefano Ferrari (Orphée)
Maria Riccarda Wesseling (Eurydice)
Magali LĂ©ger (Amour)
Les Éléments
Le Cercle de l’Harmonie
direction : Jérémie Rhorer
27 juillet, Basilique Notre-Dame
André Campra (1660-1744)
De Profundis
Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)
Symphonies pour un reposoir
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Quam Dilecta
André Campra
Messe de Requiem
CĂ©line Scheen, dessus I
Salomé Haller, dessus II
Emiliano Gonzalez-Toro, haute-contre
Robert Getchell, taille
Matthew Brook, basse
Les Éléments
Les Talens Lyriques
direction : Christophe Rousset
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