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CHRONIQUES
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02 mai 2024
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Placée sous le signe des reines, nymphes et autres bergers amoureux qui peuplèrent les premiers âges de l’opéra d’un côté comme de l’autre de la Manche, la quatrième édition du Midsummer Festival s’inscrit pleinement dans l’identité du lieu qui lui sert de cadre. Folie néo-tudor bâtie entre dunes et marais dans l’esprit du romantisme finissant, le Château d’Hardelot n’en est pas moins loin, de par sa singularité même, de cantonner la programmation aux prémices renaissantes du répertoire baroque.
Ainsi, Marie Stuart fascina peut-être plus encore les romantiques par son destin tragique, qu’elle n’émerveilla la cour de France, dont elle fut reine pour ainsi dire d’un jour, grâce à sa beauté et ses dons pour les arts – mieux qu’un symbole de cette Entente cordiale dont la bannière flotte sur l’ancienne forteresse du XIIIe siècle.
Par un subterfuge d’autant moins visible que le nom du « prince des poètes et poète des princes » n’apparaît nulle part sur le programme, l’Ensemble Clément Janequin s’est contenté de maquiller son anthologie de chansons polyphoniques sur des vers de Pierre de Ronsard en hommage de circonstance à la souveraine, dont cette plume fidèle pleura le départ dans une « Élégie en noir habit vêtue. » La richesse musicale de ces pièces de Janequin à Jean de Castro, en passant, entre autres, par François Regnard et Antoine de Bertrand, n’en est certes pas altérée.
Mais les sept chanteurs, complices assurément, et pour la plupart de longue date, y font preuve de moins de variété expressive que dans ces pages imitatives, d’une légèreté souvent grivoise, qui ont fait la gloire du groupe, et se prêtent assurément mieux à la fantaisie la plus débridée. Surtout, sans que nul pourtant ne soit avare de consonnes et malgré la sécheresse de l’acoustique qui devrait justement en favoriser l’intelligibilité, pas un mot ne vient troubler la chaleureuse euphonie de ces voix individuellement sans beauté.
Après plus de trente-cinq ans de carrière – ce qui n’est pas loin pour un contre-ténor, même de caractère, de constituer un record de longévité –, le falsetto de Dominique Visse n’est plus, au sein des Janequin que ce timbre si claironnant autrefois dominait, comme le lendemain dans la solitude de Tunes of Sad Despaire de John Dowland, qu’un délicat murmure. Mais quels trésors de musicalité il déploie, en dépit d’une intonation parfois vacillante, pour poétiser cette ténuité ! Chaque song résonne dès lors comme une intime confession. Paradoxe de cet art suprême de diseur, qui culmine dans In darkness let me dwell, le texte anglais échappe à la compréhension.
Pas un instant pourtant, le fascinant tapis sonore tissé par les cinq violistes de Fretwork ne le recouvre. Bien au contraire, ces galbes, la sérénité de cet élan ciselé, et jusqu’à l’austère sensualité qui sourd de Sir Henry Umpton’s Funerall, nourrissent la profondeur d’un silence fervent. De l’art de faire de la musique ensemble, qui est au fond le seul qui vaille. Après tant de larmes – Semper Dowland semper Dolens –, Away with these self-loving lad clôt ce moment hors du temps par un pied de nez en forme d’invocation à Cupidon, dont Dominique Visse ne cesse de cultiver à la scène l’esprit facétieux.
Que n’anime-t-il Robert King, qui pour connaître Acis and Galatea de Haendel sur le bout des doigts, ne parvient pas à trouver le ton juste de ce masque, entre pastorale tragique et satire, qui sous les traits du monster Polypheme annonce cette galerie de personnages peu recommandables épinglés quelques décennies plus tard par le peintre et graveur William Hogarth ? Corseté, mécanique, son orchestre miniature, dont l’effectif divise quasiment par deux celui dont le compositeur disposait à Cannons, où l’œuvre fut créée, reste prisonnier d’une palette dynamique étroite et d’une raideur sporadiquement sautillante.
Tout l’inverse des chanteurs, à commencer par le vétéran David Wilson-Johnson, qui joue les ogres pervers avec délectation. Non moins éloquent, James Oxley prête non sans autodérision de précieux accents de haute-contre à la française à l’ambivalent Damon. Avec dans le regard et la texture du timbre quelque chose de la jeune Mireille Delunsch, Sophie Junker est la plus fraîche et frémissante des Galatée, à laquelle un vibrato pas encore pleinement éclos confère le trouble de l’amour inquiet. Sans rien de remarquable dans la couleur, mais dans le plus pur idiome – enfin des mots ! –, Joshua Ellicot revêt Acis d’un héroïsme inaccoutumé. Et parfait ce théâtre que l’uniformité de la direction refuse.
28 juin :
Mary Stuart, reine de France et d’Écosse
Janequin, Certon, Regnard, Lassus…
Ensemble Clément Janequin
Julia Wischniewski, soprano
Sophie Toussaint, mezzo-soprano
Dominique Visse, haute-contre et direction
Hugues Primard et Vincent Bouchot, ténors
François Fauché, baryton
Renaud Delaigue, basse
Eric Bellocq, luth
Elisabeth Geiger, orgue et Ă©pinette
29 juin :
17h :
John Dowland (1563-1626)
Tunes of Sad Despaire
Dominique Visse, contre-ténor
Eric Bellocq, luth et orpharion
Fretwork, consort de violes
Asako Morikawa, Reiko Ichise, Liam Byrne, Richard Tunnicliffe et Richard Boothby
20h30 :
Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Acis and Galatea, masque en deux actes (1718)
Sophie Junker (Galatea)
James Ellicot (Acis)
James Oxley (Damon)
David Wilson-Johnson (Polypheme)
Matthew Venner (Chorus)
The King’s Consort
direction : Robert King
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