|
|
CHRONIQUES
|
25 avril 2024
|
|
Michaël Levinas est aussi connu pour sa carrière de pianiste que pour ses multiples partitions instrumentales ou vocales. Faut-il rappeler qu’il s’imposa comme un interprète exceptionnel de Beethoven avec son intégrale des sonates enregistrée chez Adès, l’un des premières signées par un Français après Yves Nat ?
Pour ce récital, il avait donc choisi de paraître sous ces deux avatars et entre plusieurs sonates de Beethoven, avait intercalé trois études de sa composition, contraste très bien pensé, car son écriture riche, complexe, intelligente et d’une facture sonore hardie sans inutile provocation offre un éclairage complémentaire sur « l’art d’utiliser un piano ».
Levinas est un pur produit de l’école de piano française, même s’il a subi quelques influences d’Europe centrale aussi. Il est frappant de voir la rigueur de son maintien devant l’instrument, buste droit et immobile, seuls les avant-bras et les mains en action, en des temps où bien des virtuoses de la nouvelle génération se livrent à d’amples effets de manche, pensant mettre en œuvre les conseils d’un Richter qui préconisait même l’emploi du coude… si nécessaire. Mais c’était Richter ! On sait gré en l’occurrence à Levinas de nous épargner ce théâtre qui remplace trop souvent l’expression musicale authentique.
Son approche de Beethoven, non dénuée pour autant de passion ni d’élans ni de fougue, reste aussi avant tout cartésienne. Sonate au clair de lune, Septième Sonate en ré majeur op. 10 n° 3, d’une lumière et d’un climat très différents, Sonate Waldstein sont traitées dans une clarté absolue de structure, mettant en valeur le travail de Beethoven sur la forme. L’agencement des thèmes, leur construction dans chaque mouvement et le rapport des mouvements entre eux est mis en lumière avec finesse, sans froideur excessive, mais avec une passion dont même les violences restent sous contrôle.
C’est du beau piano romantique où les états d’âme ne brouillent jamais vraiment la lucidité et l’on bénéficie de ce toucher précis, équilibré, de ce rapport franc à l’instrument. On songe évidemment aux grands maîtres qui furent les siens, comme Vlado Perlemuter ou Yvonne Lefébure, Yves Nat ayant eu à la fois une pensée souvent plus personnelle mais un rapport au clavier non dénué parfois d’agressivité. En bis, le premier mouvement de la Sonate la Tempête, fougueux, plus généreusement libéré, met un point final à ce très passionnant récital.
Le lendemain, dans le cadre absolument idéal de la petite chapelle de l’ancienne abbaye du Valdieu, à l’orée de la profonde forêt de Réno-Valdieu, Ophélie Gaillard jouait trois suites pour violoncelle de Bach. La sonorité de ce lieu intime permet un contact direct avec cette musique dans des conditions infiniment meilleures que celles de n’importe quelle salle de concert à la jauge plus grande.
Un moment miraculeux de musique parfaite, avec tout l’investissement et l’exactitude d’analyse que l’on connaît à cette grande violoncelliste. Il y a tout, la profondeur de la pensée, l’élan musical incessant, la qualité charnue du son, la technique fulgurante et un sens du phrasé magistral. Tout ce qui permet à ces pages de vivre d’une vie intense qui ne nous laisse pas une seconde indifférents, qui leur donne une dimension émotionnelle digne, sur cette frontière si ténue parfois du baroque et du romantisme, riche de mille couleurs, avec de très subtils choix de dynamique.
Nouveau rendez-vous la semaine prochaine avec Bach, cette fois en l’église de Mauves-sur-Huisne et avec encore deux interprètes de haut vol, Amandine Beyer et Pierre Hantaï. Percherons et « accourus » comme on appelle ici les possesseurs de résidences secondaires, ont décidément beaucoup de chance de voir les lieux historiques de la région mis en valeur par une aussi solide programmation musicale.
Samedi 5 juillet, Ă©glise de Mortagne-au-Perche
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate n° 14 en ut# mineur op. 27 n° 2 « Clair de lune »
Sonate n° 7 en ré majeur op. 10 n° 3
Sonate n° 21 en ut majeur op. 53 « Waldstein »
Michaël Lévinas (*1947)
Trois Études
Michaël Lévinas, piano
Dimanche 6 juillet, Chartreuse du Valdieu
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Suite pour violoncelle n° 2
Suite pour violoncelle n° 5
Suite pour violoncelle n° 6
Ophélie Gaillard, violoncelle
|
|
|
|
|
|
|