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CHRONIQUES
26 avril 2024

Les arènes de la critique
© Matthieu Blanchin d

Le 30/09/2000
Eric SEBBAG
 



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  • Après en avoir diffusé tout l'été un florilège, France Musiques vient de ressusciter la tribune des critiques de disque d'Armand Panigel sous le titre éclaboussant de "Un pavé dans la mare". En réécoutant son ancêtre, on retient surtout les savoureuses joutes verbales entre Antoine Goléa, champion d'une eschatologie musicale dont lui seul possédait les clefs, et Jacques Bourgeois, l'ami des "stars" et des divas à qui "on ne l'a fait pas".

    Et si la critique était un métier de gladiateur et la tribune une arène ? Frédéric Lodéon qui anime sa dernière incarnation radiophonique ne semble pas si loin de le penser, car face à ses jurés invités qui - le 24 septembre dernier- barbotaient dans une grosse flaque de consensus, il rappelait fort à propos que " on est là en principe pour s'engueuler ". Bref, il s'agit de balancer le pavé et non de le battre mollement.

    Dans sa version ancienne ou moderne, le principe moteur de l'émission est une sorte de jugement instantané - presque sur le modèle du concert- où les critiques doivent se prononcer tour à tour après l'audition de morceaux choisis. Un dispositif simple et finalement jamais remis en question, alors que la tribune avait déjà connu deux renaissances avant la version actuelle, avec successivement Jean Pierre Derrien et Gérard Courchelle comme modérateurs.

    Sur France Inter, une autre radio du service public français qui défend le libre exercice de la critique, il existe une émission semblable à la tribune qui traite de l'actualité du livre, du cinéma et du théâtre. Il s'agit bien sûr du "Masque et la Plume". Imagine-t-on un seul instant les journalistes de cette émission dominicale se prononcer sur des livres dont on leur aurait lu sur place des extraits, des films dont on leur aurait projeté, séance tenante, quelques brèves scènes choisies ?

    Pour la tribune du disque, cela ne choque personne. Bien sûr, quelques critiques auront fait l'effort d'écouter quelques versions intégrales avant l'émission, mais cela n'étant pas de règle, il n'est pas rare que certains invités soient l'objet d'un dépucelage auditif sur place.

    Lorsqu'il animait la tribune, Gérard Courchelle avait introduit le principe de l'écoute en aveugle (à l'imitation de " Disques en lice ", une émission de Radio Suisse-Romande) qui reste d'actualité dans la mare de son successeur. Là encore, ce postulat semble frappé du sceau de l'évidence : en ignorant le nom des interprètes, le critique est en mesure d'exercer son jugement de manière plus objective, sans être assourdi par ce qu'il pense déjà des uns ou des autres. Mais est-ce bien raisonnable ?

    La première condition est qu'il ne reconnaisse personne, car si c'est le cas, son jugement est d'emblée faussé. Transposé aux relations amoureuses, le jeu de l'aveuglement produit presque invariablement des séismes. Un certain Mozart et son compère Da Ponte l'ont brillamment démontré dans un célèbre opéra intitulé Cosi fan Tutte. Grâce à différents travestissements, deux couples ne peuvent plus se reconnaître et vont ipso facto mettre leur amour à l'épreuve. Le résultat est funeste comme on le sait et, malgré la mise en garde de Mozart, beaucoup d'émissions de télévision-poubelle se délectent de ce genre de distractions rances en testant des couples dans toutes sortes de situations d'aveuglement forcé.

    En critique comme en amour, ce que l'on sait déjà de quelqu'un n'est-il une part constitutive du jugement que l'on exerce à son endroit ? S'en abstraire est parfois possible, mais garantit presque à tous les coups un verdict empoisonné, car l'amour que l'on porte à quelqu'un ou quelque chose est forcément le produit d'une histoire, et à l'heure du décodage du génome humain, les coups de foudre ne sont toujours pas une science exacte.

    De fait, seuls les artistes ont réellement le pouvoir de mettre à l'épreuve l'amour dont ils sont l'objet, en décidant eux-mêmes de dissimuler leur identité. L'écrivain Romain Gary est l'un rares à en être sorti plus grand, les autres sont restés sur le pavé.




    Le 30/09/2000
    Eric SEBBAG



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