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CHRONIQUES
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19 mars 2024
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Il fut à la fois un pionnier de génie et une célébrité, en partie, il faut le reconnaître, grâce à sa collaboration avec Maurice Béjart, tout en restant un peu marginal dans la vie musicale de notre époque. Un parcours hors du commun, qui a ouvert des horizons aussi vastes que multiples au rapport du XXe siècle avec le son, avec la musique, révolution encore plus hardie et radicale que celle de Pierre Boulez et de sa suprématie du dodécaphonisme.
Béjart a très bien exprimé ce qu’a représenté pour lui la rencontre avec Pierre Henry, se faisant le porte-parole de toute une génération : « Mon langage chorégraphique propre, je l’ai trouvé assez tard, au milieu des années cinquante, avec la découverte de la musique concrète. Avant, c’était des balbutiements, rien de très intéressant… La première fois que je me suis vraiment trouvé, c’est grâce à Pierre Henry et Pierre Schaeffer. Il y a eu une nouvelle manière d’écouter, un décrassement de l’oreille, un nouvel ajustement du temps. »
Béjart reviendra, en parlant de la découverte du Marteau sans maître de Boulez, sur ce « décrassement de l’oreille », considérant que notre culture qui nous nourrit d’abord de musique classique, nous conduit à une sorte de routine de confort, inconsciente… et qu’il est bon de réveiller. Prouvant que musique et rythme peuvent naître de n’importe quel objet, de n’importe quelle association de sons naturels ou provoqués, c’est toute cette logique culturelle que Pierre Henry a remise en cause et appliquée dans une œuvre abondante, variée, fondatrice.
Pour Béjart, il fit la musique de treize ballets, dont certains des plus illustres restent Symphonie pour un homme seul (1949-1950), fait avec Pierre Schaeffer, Orphée, toujours avec Schaeffer, la Reine verte où Béjart mettait en scène Maria Casares, et Messe pour le temps présent de 1967, avec Michel Colombier, permettant à Béjart une création de très grande ampleur dans la cour du Palais des Papes au festival d’Avignon, marquant la vraie entrée de la danse dans ce lieu et ce festival. Il y eut tant d’autres œuvres ambitieuses par la suite, sans Béjart, avec des titres impressionnants, comme Dieu, d’après Victor Hugo (1977), la Dixième Symphonie de Beethoven (1986), Un monde lacéré, dédié à Jacques Villégié en 2008, pour ne citer que quelques titres.
J’ai eu le privilège d’aller interviewer Pierre Henry une fois chez lui dans son bureau-laboratoire-atelier. Je pense que c’était au moment de la création de la Dixième Symphonie de Beethoven. Je garde le souvenir d’un homme très affable, très souriant, très disert, mais aussi très savant et je dois avouer que je n’ai pas tout compris ni encore moins retenu ce qu’il m’expliqua alors. Le lieu était étonnant, vaste et surtout encombré d’une multitude d’appareils plus bizarres les uns que les autres, un peu comme l’antre d’un savant fou ou d’un professeur Nimbus en activité.
Très impressionnant, au demeurant, avec la constatation qu’une fois encore, les plus grands créateurs, ceux qui comptent vraiment, vous laissent d’une rencontre avec eux, d’abord le souvenir d’un être humain exceptionnel, parfois pittoresque, toujours absolument unique.
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