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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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On connaît la perfection formelle du quatuor : précision et naturel des attaques, logique imparable des contrastes, diversité et subtilité des nuances, jusqu'au plus infime pianissimo, solidité de l'architecture, conduite soutenue du discours. Mais au-delà de ces qualités, leur Suite lyrique impose d'emblée une tension qui ne subira jamais la moindre baisse, s'accentuant au contraire comme un implacable tour d'écrou.
Les quatre instrumentistes composent un climat d'étrangeté, de mystère, de violence diffuse. Avec, à chaque instant, un besoin d'étonner, de surprendre, d'enserrer l'auditeur dans les mailles d'un filet musical dense et pourtant d'une parfaite clarté. La force expressive du jeu des Berg est telle que ce qui pourrait se décanter jusqu'à l'abstraction ou, au contraire, chuter dans l'anecdotique (on sait, depuis une vingtaine d'années, que cette Suite est liée à un épisode amoureux dramatique de la vie du compositeur) devient le plus poignant des jeux théâtraux. Jusqu'au tragique Largo desolato final, où la musique se dilue dans un silence angoissant.
Plus que le ton et la couleur, c'est l'articulation qui diffère dans le long Quatuor n° 15 opus 132 de Beethoven, aussi nerveuse mais plus souple. Le lyrisme n'a rien perdu de son intensité, même si la lumière semble plus tamisée que vive. La cohésion, l'écoute mutuelle sont admirables dans le contrepoint de l'ample Molto adagio central ; la clarté des lignes l'est tout autant, ainsi que le souci de les faire chanter. Comme si l'on assistait à une montée progressive vers la lumière, sans ostentation incongrue.
Il est dommage que les problèmes d'intonation flagrants mais momentanés du premier violon, Günter Pichler, perturbent une telle fête de l'esprit (ils seront encore plus aigus dans le bis, l'Adagio du Quatuor op. 76 N°2, " Les Quintes ", où la mélodie est particulièrement exposée). Mais la prise de risque est inouïe, plus encore que dans l'oeuvre de Berg. L'Allegro appassionato démesuré qui conclut cette page essentielle est mené de main(s) de maître(s), et ses accords ne peuvent que céder la place au silence.
L'interprétation des Berg n'est ni confortable, ni allant de soi ; elle se veut une perpétuelle remise en cause d'un répertoire longuement fréquenté. On n'entre pas sans effort dans cet univers. Mais ces efforts sont précieux.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 18/05/2001 Michel PAROUTY |
| Concert du trentenaire du Quatuor Alban Berg au Théâtre de Champs-Élysées. | Suite lyrique d'Alban Berg
Quatuor n° 15 opus 132 de Beethoven
Quatuor Alban Berg | |
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