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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Reprise d'Agrippina de Haendel au Théâtre des Champs-Elysées.
Agrippina à gorge déployée
La rentrée parisienne est décidément placée sous le signe des reprises : au Théâtre des Champs-Elysées, c'est l'Agrippina fameuse du tandem Jacobs/McVicar qui ouvrait le bal, deux ans après son premier passage à l'Avenue Montaigne. Et une distribution quasi-inchangée, dominée par l'impératrice-virago d'Anna Caterina Antonacci et le Néron de Malena Ernman.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 22/09/2003
Yutha TEP
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Complicité artistique
Sombre Volga
Hommage au réalisme poétique
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David McVicar n'échappe pas à une certaine tradition anglo-saxonne, qui règle les difficultés de l'opera seria par principalement deux solutions : la première esthétisante (et frisant parfois l'ennui), soucieuse de donner aux chanteurs toute latitude pour déployer librement leur art ; l'autre plus cynique, tendant à souligner les faiblesses mêmes du genre en recourant à l'ironie et aux décalages. David Mc Vicar appartient plutôt à la seconde école, et sa mise en scène fait appel à l'imagerie la plus débridée pour dépeindre un Empire romain sur le déclin. Les situations fortes – et hilarantes – ne manquent donc pas : autour d'un escalier amovible jaune-or en haut duquel se dresse le trône impérial, les protagonistes de cette lutte pour le pouvoir évoluent tels des personnages tout droit sortis d'un sitcom. Un Claude très business-man lubrique, une Agrippina digne de Jacky Kennedy, un Néron post-pubère tête-à -claque, une Poppée-Barbie que n'effraie guère l'alcool, tout concourt à créer une ambiance aussi hystérique que cynique. Menée tambour battant, cette Agrippina est avant tout une efficace machine théâtrale, voire burlesque. Il est vrai que le livret commis par Vincenzo Grimani s'y prête admirablement, satire virtuose de la Rome pontificale, ouvrant au jeune Haendel (il a 24 ans quand l'oeuvre est créée à Venise) des voies d'une richesse qu'il ne retrouvera pas toujours pour les chefs d'oeuvre à venir.
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Dans ce contexte, il vaut mieux pouvoir compter sur des bêtes de scène, et cela est ici le cas. Anna Caterina Antonacci trouve en Agrippine un rôle taillé sur mesure : la tessiture lui convient idéalement, et le tempérament de la chanteuse italienne, sa présence vocale impérieuse, compensent largement un timbre désormais amoindri. L'affrontement entre Néron et Othon tourne à l'avantage du premier car si Lawrence Zazzo/Othon ne démérite nullement (projection rare pour un contre-ténor, musicien sensible), le Néron de Malena Ernman emporte totalement l'adhésion par sa facilité vocale (un Come nube expédié avec une aisance sidérante, entre deux lignes de coke) et une composition ahurissante – rarement une chanteuse aura été aussi convaincante dans un rôle travesti. Lorenzo Ragazzo en Claude souffrit d'une méforme annoncée au public, alors que Miah Persson, pour sa part vraiment malade, fut remplacée dans la fosse par Rosemary Joshua, au chant d'une haute tenue malgré quelques approximations dans l'intonation : dommage, car sa plastique avantageuse et son jeu d'acteur laissent deviner une Poppée aussi piquante que séductrice. Les comparses sont, de même, scéniquement sans faille, Dominique Visse ne ratant pas l'occasion, une fois de plus, de faire montre d'un métier admirable en Narcisse.
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Bien entendu, ce beau projet resterait en partie lettre morte s'il n'y avait un chef capable d'animer toute cette machinerie. Même si l'on aurait parfois aimé un brin de souplesse supplémentaire, en particulier dans la rythmique des récitatifs, il faut saluer le flair théâtral du chef belge et sa parfaite connaissance des canons du chant baroque. S'appuyant sur un Concerto Köln plus incisif que jamais, René Jacobs a orchestré de main de maître ce rassemblement explosif, commentant avec un humour souvent ravageur les actes de ses chanteurs. De quoi faire réfléchir, et prouver que l'opera seria est certes une affaire sérieuse, mais qu'on peut en rire sans lui porter dommage.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 22/09/2003 Yutha TEP |
| Reprise d'Agrippina de Haendel au Théâtre des Champs-Elysées. | Agrippina
Opéra de GF Haendel sur un livret de Vincenzo Grimani (1709)
Direction musicale : René Jacobs
Mise en scène : David Mc Vicar
DĂ©cors & costumes : John Mcfarlane
Concerto Köln
Avec Anna Caterina Antonacci (Agrippina), Malena Ernman (Néron), Miah Persson/Rosemary Joshua (Poppée), Lorenzo Regazzo (Claude), Dominique Visse (Narcisse), Antonio Abete (Pallas), Lynton Black (Lesbo). | |
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