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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Concert de musique de chambre de Martin Matalon à l'espace de projection de l'Ircam, Paris.
De la nuance à la couleur...
Martin Matalon
Avant de s'établir définitivement à Paris en 1993, après de fertiles années aux Etats-Unis, l'Argentin Martin Matalon s'était fait connaître en France au Festival d'Avignon dès 1989 avec son opéra de chambre Le Miracle secret. Mais c'est sans doute sa collaboration avec l'Ircam qui lui apportera la notoriété avec de nouvelles partitions pour trois films cultes : Metropolis de Fritz Lang, Le Chien andalou et L'Age d'or de Luis Bunuel.
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Le concert monographique qui lui était consacré mardi dernier à l'Espace de projection de l'Ircam faisait appel exclusivement à sa musique de chambre, servie par des interprètes de haut niveau, rompus aux démarches les plus innovantes de la musique d'aujourd'hui. Une initiative qui augure bien de la politique du nouveau directeur de l'IRCAM Jean-Michel Lejeune, car elle permettait d'entrer dans l'essence même de la nature du musicien, et dans une écriture qui demande à chaque instrument de forcer ses limites en puisant dans des ressources trop rarement explorées, voire insoupçonnées.
...Del Matiz al color...
Del Matiz al color
(
De la nuance à la couleur
) était le défi lancé à l'excellent Octuor de violoncelles de Beauvais, qui a brillamment compris le message. L'ampleur de la tessiture, la diversité des modes de jeu, la juxtaposition des formes, nous ont fait assisté à une transformation à vue du matériau musical, d'une extrême sophistication, mais qui nous faisait plus spectateur de la performance qu'auditeur captivé.
Formas de Arena
Il était inévitable que l'espace d'un instant, Formas de Arena (Formes de sable), confié au Trio Nobis, ne nous fasse pas penser au chef d'oeuvre composé par Debussy pour la même formation : flûte, alto et harpe. Mais un instant seulement, car il s'agit chez Matalon d'un jeu de rôle d'une grande habileté, procédant par imitation, écho, frôlement, dévoilement progressif des timbres, mixages de couleurs imprévisibles, ou va-et-vients entre les trois instruments, scandés par les attaques de la harpe, volontairement « bruitées » par un effet de « zingage » obtenu avec les pédales. Loin, très loin de Debussy, à moins que l'on y voit, sinon d'en finir avec lui, une manière d'en assumer les dernières conséquences.
TRAME II
TRAME II pour clavecin et orchestre de chambre appartient à un cycle de pièces du même nom qui constitue pour Martin Matalon une sorte de « journal intime ». Et il s'en explique : « Mes Trames successives doivent aborder des problèmes compositionnels qui me préoccupent aux différents moments de leur écriture, en établissant des liens complexes entre les instruments et une partie soliste qui individualise l'un des interprètes ».
Elisabeth Chojnacka, dédicataire et créatrice de l'oeuvre en 1999 en Allemagne, a largement contribué à en faire incontestablement le temps fort de la soirée. Sous la direction d'une précision très boulézienne de Pierre-André Valade, les musiciens de l'ensemble Court-Circuit ont fait une allégeance particulièrement sensible à son clavecin, le sollicitant obstinément, le cernant de près, lui inventant d'affolantes rythmiques, « chacun – comme le souhaitait Matalon – restant dans sa vérité acoustique, libéré de ses connotations traditionnelles ». Le bandonéon, les percussions des caraïbes, ajoutaient au métissage savant qui finissait par tisser autour de l'instrument une toile haute en couleurs, au centre de laquelle Elisabeth Chojnacka exprimait toute la rutilance et la sensualité de la musique.
Dos formos del tiempo
Changement d'atmosphère avec Dos formos del tiempo pour piano qui s'articule sur deux conceptions du temps musical et de la question centrale de la dualité qui en résulte : une même pulsation rythmique, du début jusqu'à la fin, et comme en suspension dans un espace indéterminé, des figures libres qui se déploient, se composent et s'évanouissent, reviennent en spirales, brillent ou se raréfient. Tel un arbitre implacable, le pianiste Dimitri Vassilakis, concentré, partout à la fois, a donné une démonstration impressionnante de dédoublement de la personnalité, où au-delà de la pure virtuosité éclatait l'évidente jubilation d'un parcours bien conduit.
Monedas de Hierro
Monedas de Hierro qui concluait le programme, est la version de concert tirée de la composante sonore commandée en 1993 par l'Ircam à Bruno Matalon pour une installation sonore consacrée à Jorge Luis Borges sous le titre La Rosa Profunda. On y circulait alors comme dans un labyrinthe où toutes sortes d'objets illustraient les thèmes développés dans l'oeuvre de l'écrivain : le temps, les bibliothèques, la lecture, les miroirs, la musique en étant le fil d'Ariane.
« J'étais fasciné – écrit le compositeur – par la façon dont Borges traitait les petites formes, et j'ai fait en sorte que chaque mouvement de la pièce présente une idée musicale essentielle, sans développement ni prolifération, une forme au sens plastique du terme ». Et l'on reçoit cette partition comme une sculpture musicale reliant les pièces entre elles, où l'effet de trompe-l'œil entre le dispositif électronique et l'Ensemble instrumental Court-Circuit est proprement saisissant.
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Espace de projection, IRCAM, Paris Le 23/09/2003 Françoise MALETTRA |
| Concert de musique de chambre de Martin Matalon à l'espace de projection de l'Ircam, Paris. | Martin Matalon (*1958)
...DEL MATIZ AL COLOR... (1998)
Octuor de violoncelles de Beauvais
FORMAS DE ARENA (2001)
Trio Nobis
TRAME II (1999)
Elizabeth Chojnacka, clavecin
Ensemble Court-Circuit
DOS FORMAS DEL TIEMPO (2000)
Dimitri Vassilakis, piano
MONEDAS DE HIERRO (1993)
Ensemble Court-Circuit
Dispositif électronique Ircam | |
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