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CRITIQUES DE CONCERTS |
09 mai 2025 |
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Version de concert de Rinaldo de Haendel sous la direction de Jean-Claude Malgoire au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Rinaldo en demi-teinte
Vingt-huit ans après son enregistrement historique, Jean-Claude Malgoire remettait Rinaldo sur le métier à l'occasion de son jubilé. Aussi festif soit-il, l'événement, auréolé de la prise de rôle de Philippe Jaroussky, a permis de s'interroger sur l'évolution de l'interprétation de l'opéra haendélien, trois générations après la révolution initiée par le père des baroqueux français.

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Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 15/10/2005
Mehdi MAHDAVI
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Il est deux dates majeures dans l'histoire de l'opéra haendélien. Le 24 février 1711, le caro Sassone introduisait l'opéra italien à Londres avec Rinaldo, authentique feu d'artifice musical et scénique très librement inspirée de la Jérusalem délivrée du Tasse. Plus de deux cent cinquante ans plus tard, du 19 au 23 mai 1977, Jean-Claude Malgoire réalisait avec ce même Rinaldo – choix emblématique – le premier enregistrement intégral d'un opéra de Haendel sur instruments d'époque, restituant tous les rôles à leurs tessitures d'origine.
Plus que pionnière, cette aventure se distingue aujourd'hui encore par son caractère expérimental. Il aura en effet fallu tout réinventer, de la pratique instrumentale, vocale, au style et à l'ornementation. La distribution n'en demeure pas moins peu ou prou inégalée : l'Eustazio de Charles Brett, le Goffredo de Paul Esswood, l'Almirena d'Ileana Cotrubas, l'Argante d'Ulrik Cold et le Rinaldo de Carolyn Watkinson, surtout, sont des modèles à bien des égards. Trois générations de baroqueux plus tard, l'exécution instrumentale paraît en revanche bien datée.
S'il reste fidèle à un effectif instrumental d'une trentaine de musiciens, Jean-Claude Malgoire a considérablement rajeuni ses tempi, confiant aux seuls clavecins un continuo particulièrement volubile. D'une tenue inespérée après tant de prestations inégales, La Grande Ecurie et la Chambre du Roy ne peut pourtant se départir d'une certaine pesanteur. Car, attentive à la progression musicale, la lecture de leur fondateur est loin d'être un modèle de relief théâtral, d'une palette dynamique limitée, sinon inexistante, et d'un coloris unique, peu à même de mettre en valeur les raffinements d'un Philippe Jaroussky très attendu pour ses débuts dans le rôle-titre.
A peine remis d'une trachéite, le contre-ténor français n'a assurément pas l'étoffe vocale d'un héros guerrier – d'ailleurs, Rinaldo l'est-il ? Plutôt une des nombreuses résurgences haendéliennes de l'effemminato, figure-clé de l'opéra vénitien, anti-héros plus enclin à l'amour qu'au maniement des armes. Mais par-delà l'argument dramaturgique, la tessiture pousse le jeune chanteur dans ses derniers retranchements, et la beauté immaculée de la ligne – qui est aujourd'hui capable d'un Cara sposa d'une telle subtilité ? –, la virtuosité éblouissante, la conduite savante du récitatif ne suffisent plus face aux trompettes d'Or la tromba, ou même à l'ampleur inaccoutumée de l'Almirena d'Ingrid Perruche, dans le duo Scherzano sul tuo volto.
Prédisposée à l'exploration de rivages plus authentiquement lyriques, la soprano française, tour à tour émouvante et enjouée, parvient néanmoins à discipliner un métal qui ne peut qu'occulter l'Armida prometteuse, mais contrainte par un souffle encore fragile de Delphine Gillot, alors que l'Argante de Nigel Smith ne sortira de sa réserve que pour une brillante scène de ménage, ailleurs virtuose mais effacé. Plus placide encore, l'Eustazio de Thierry Grégoire n'a que la séduction du timbre, où Dominique Visse se doit de déployer des trésors d'invention musicale pour pallier l'usure des moyens.
L'atmosphère se devait pourtant d'être à la fête, et ce remake de Rinaldo, attestant de la bonne santé de la Grande Ecurie et le Chambre du Roy après quarante ans de loyaux services, a été accueilli par un triomphe, saluant avec justesse les extrêmes raffinements de la prise de rôle en demi-teinte de Philippe Jaroussky. Mais le Rinaldo idéal n'est-il pas encore à naître ?
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