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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Création à l'Opéra de Paris des Noces de Figaro de Mozart dans la mise en scène de Christoph Marthaler et sous la direction de Sylvain Cambreling.
Une folle journée riche en solutions
Heidi Grant Murphy (Suzanne) et Peter Mattei (le Comte).
Créées au festival de Salzbourg 2001 et reprises maintenant au Palais Garnier, les Noces de Figaro selon Christoph Marthaler fournissent quelques solutions intelligentes à l'angoisse récurrente des metteurs en scène actuels qui craignent que ce type d'ouvrage ne touche plus la sensibilité de leurs contemporains. Chronique d'une soirée stimulante où l'on rit beaucoup.
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Voilà sans aucun doute une autre façon de jouer, de s'amuser avec la tonique musique de Mozart et les personnages pétillants de Beaumarchais. Et très certainement, sous les apparences d'une modernité un peu provocatrice, un vrai retour aux sources. La plupart des metteurs en scène d'opéra actuels ont une préoccupation commune : rendre proche au public du XXIe siècle des opéras trop généralement considérés comme des objets de musée. Préoccupation légitime pour plusieurs raisons, même si elle engendre plus d'échecs ou d'absurdes dérives que de réussites.
En effet, la majorité des spectateurs qui emplissent comme jamais les salles d'opéra du monde entier sont désormais plus abreuvés de feuilletons américains et de films d'action, voire de télé-réalité, que de pièces en costumes historiques. Au fil des XIXe et XXe siècles, on a bâti une tradition de spectacles très décoratifs pour tout ce répertoire, qui correspondait à la sensibilité d'époques où le vêtement, l'habitat, le comportement quotidien répondaient encore en grande partie à des codes aujourd'hui en déclin.
On peut certes le regretter, mais le fait est là . Du moment que l'on respectait ces codes sur scène, personne n'était choqué. Il y a un peu plus d'une trentaine d'années, on pouvait encore voir à la salle Favart des Noces de Figaro en français, avec une Comtesse qui ressemblait à Louis XVI, un Chérubin et une Suzanne largement ménopausées, dans des décors défraîchis et des costumes usés. Personne n'y trouvait à redire, et le seul reproche adressé par le critique d'un grand quotidien fut que Figaro ne portait pas la résille traditionnelle qui devait lui tenir les cheveux
Il est bien évident qu'il fallait trouver autre chose. D'où l'émergence de deux principales tendances en la matière, celle illustrée au plus haut niveau par le travail de Giorgio Strehler ou de Jean-Louis Martinoty, qui consiste dans l'héritage de la tradition que l'on pourrait qualifier d'historique et de décorative, vivifiée par un génial travail de réflexion sur le texte et les personnages, et celle, plus germanique, d'un brutal changement d'époque apparemment plus iconoclaste. Reconnaissons que chaque solution a ses dangers, qu'elles ont donné lieu toutes deux à quelques réussites et pas mal de ratages, avec toutefois cette différence qu'un ratage décoratif choque forcément moins qu'un ratage modernisant.
La mise en scène de Christoph Marthaler, en transposant l'histoire des Noces à notre époque dans un lieu alternatif laissant libre cour à l'imagination de chacun – ni antichambre, ni intérieur, ni extérieur, mais lieu de passage où forcément tout le monde se retrouve à un moment ou à un autre – avec des personnages vêtus de façon assez ordinaire voire carrément trash pour les paysans, apporte un lot d'excellentes solutions théâtrales au nouveau jeu qu'elle propose.
On ne peut ici tout décrire et tout raconter. Mentionnons seulement que, même en se compliquant souvent la tâche, le metteur en scène trouve toujours l'idée de théâtre adéquate pour s'en sortir. Encore faut-il admettre que le théâtre est convention et artifice, ce que le public d'opéra semble toujours réticent à accepter. Un personnage peut être en scène pour le spectateur, et ne pas y être pour les autres protagonistes, comme c'est le cas dans ce fauteuil du dernier acte où s'absentent la Comtesse et Suzanne.
Il peut aussi y avoir un endroit privilégié pour chanter les airs, sans se contorsionner artificiellement dans des postures dramatiques et figuratives. C'est le cas de cette sorte de pupitre, déjà vu dans le Giulio Cesare mis en scène par Peter Sellars, où certains viennent calmement, face au public, chanter leur aria. On trouve aussi des réminiscences positives de théâtre shakespearien, comme ce récitativiste qui remplace un claveciniste qui serait ici totalement décalé, et qui évoque directement le Leiermann du Voyage d'hiver de Schubert.
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Juste alternative à un univers enrubanné
Rien n'est donc gratuit ni simplement provocateur dans les choix de Marthaler, et tout fait appel à de vrais moyens de théâtre, pas plus choquants que ceux qu'employèrent en leur temps Wieland Wagner, Patrice Chéreau ou Jean-Louis Barrault pour Claudel, pour ne citer que quelques maîtres. Et puis, songeons aussi, même si cela n'est pas toujours joli à regarder, que le XVIIIe siècle que vivaient Mozart et Beaumarchais n'était pas uniquement celui transmis par les tableaux et les meubles qui en témoignent.
Si Versailles même était un lieu sordide à bien des égards, que devait être le château d'un hobereau comme Almaviva ? Ses paysans ne portaient sûrement pas de jolis costumes pittoresques et des dentelles blanches. Les équivalents proposés ici sont même très certainement bien édulcorés par rapport à une vision réaliste d'un univers systématiquement enrubanné dans nos imaginations.
Bien sûr, il y a aussi quelques maladresses, des manies, comme cette pièce vitrée que l'on retrouve aujourd'hui partout, aussi bien dans l'Elektra de Matthias Hartmann que dans les ballets d'Alain Platel, où se déroule une anecdote secondaire pas vraiment indispensable. Ce sont toutefois de bien maigres réserves par rapport à la force du propos général, à la qualité du travail théâtral et aux multiples réponses apportées à tant d'interrogations contemporaines.
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Une équipe musicale excellente
Pour ne rien gâcher, on ne peut qu'admirer les chanteurs, magnifiques comédiens sans exception, avec une mention toute particulière pour le Chérubin incroyablement amusant et touchant de Christine Schäfer, mi-Tintin, mi-Gavroche, mi-Poil de carotte, et le Comte de Peter Mattei, somptueux à tous égards. Les autres sont parfaitement à leur place, Suzanne et la Comtesse plus à l'aise après l'entracte qu'en première partie, Marcelline extrêmement drôle.
La direction de Sylvain Cambreling, infiniment meilleure que dans Don Giovanni, est celle qu'il faut pour ce spectacle : claire, avec des accents nouveaux dans le respect de tempi conventionnels, quelques fulgurances bienvenues, et la recherche de couleurs souvent différentes mais qui correspondent à la nouvelle dynamique initiée par Marthaler.
En cette troisième représentation, à l'exception de bien injustes sifflets à l'égard du récitativiste Jürg Kienberger dont on n'a de toute évidence pas compris les références, le public a chaleureusement applaudi tout un chacun. Tant mieux, car, tout en admettant qu'il puisse surprendre voire choquer, voici bien un spectacle d'opéra d'un très haut niveau théâtral et musical, qui devrait pousser tout un public à réviser ses idées reçues et lui faire réussir à distinguer une vraie proposition raisonnée et argumentée d'un faux-semblant.
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Palais Garnier, Paris Le 18/03/2006 Gérard MANNONI |
| Création à l'Opéra de Paris des Noces de Figaro de Mozart dans la mise en scène de Christoph Marthaler et sous la direction de Sylvain Cambreling. | Le Nozze di Figaro, opera buffa en quatre actes
Livret de Lorenzo da Ponte d'après le Mariage de Figaro de Beaumarchais
Choeurs et Orchestre de l'Opéra national de Paris
direction : Sylvain Cambreling
mise en scène : Christoph Marthaler
décors et costumes : Anna Viebrock
éclairages : Olaf Winter
préparation des choeurs : Peter Burian
Avec :
Peter Mattei (Il Conte di Almaviva), Christiane Oelze (la Contessa di Almaviva), Heidi Grant Murphy (Susanna), Lorenzo Regazzo (Figaro), Christine Schäfer (Cherubino), Helene Schneidermann (Marcellina), Roland Bracht (Bartolo), Burkhard Ulrich (Don Basilio), Eberhard Francesco Lorenz (Don Curzio), Cassandre Berthon (Barbarina), Jürg Kienberger (récitativiste). | |
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