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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Concert de l'Orchestre national de France sous la direction de Vladimir Ashkenazy, avec la participation de la violoniste Janine Jansen et de l'altiste Julian Rachlin au Théâtre des Champs-Élysées, Paris, puis à l'Auditorium de Dijon.
La faute à l'acoustique ?
La critique musicale française est souvent décriée pour sa trop grande subjectivité, et le fait qu'une même soirée puisse recueillir des avis radicalement opposés ne laisse pas d'agacer. Mais dans le cas d'un même programme donné deux soirs de suite dans des salles très différentes, les contradictions peuvent aussi venir
de l'acoustique.
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Complicité artistique
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Hommage au réalisme poétique
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Il est assez connu que les grands mozartiens sont rarement de grands chostakoviens, et vice versa. Du reste, à l'heure où l'on commémore massivement les deux compositeurs, les concerts Mozart-Chostakovitch s'avèrent rarement pleinement convaincants. C'est ce qu'aura confirmé ce programme du National où Ashkenazy survole dans un premier temps la Symphonie concertante pour violon et alto du maître salzbourgeois.
Tempi relativements rapides mais machine tournant à vide, pâte sonore sans chair, sans couleur, aux contours mal définis, articulations inexistantes, phrases désespérément planes : on décroche avant même l'entrée des solistes. Le violon de Janine Jansen, beau à pleurer, ferait sans doute des miracles ailleurs, et reste quoi qu'il en soit bien plus captivant que l'alto confidentiel, presque imperceptible dans son médium, de Julian Rachlin.
Mais tous deux, emmenés par un chef échoué en terre étrangère, se contentent d'échanges de phrases et de relais systématiquement appuyés, sans vraie recherche de style. Le mouvement lent tourne vite à la page postromantique tant ses motifs sont distendus, tant chaque suspension est plus étirée que la précédente, au point d'asphyxier le langage mozartien.
On attend en revanche le chef russe dans son répertoire de prédilection après la pause. Seulement, pour que la réussite soit complète, il aurait fallu que la 4e symphonie de Chostakovitch s'arrête à l'issue de son mouvement initial. On aurait alors tenu l'une des versions les plus extraordinaires et terrifiantes de cet ouvrage titanesque.
Un premier mouvement littéralement inouï
Tempo intial très lent, scansions rythmiques écrasantes, à la manière d'un rouleau-compresseur, orchestre jouant à l'acmé de ses possibilités dynamiques et d'une tension – l'acuité insoutenable des trompettes ; la noirceur des trombones, chauffés à blanc – qui jamais ne se relâche pendant les épisodes piano où sourdent des solos absolument impeccables. Car même si les cordes manquent d'hystérie, d'électricité dans le passage fugué prestissimo, le climat glacé et inhumain au possible dénonce au mieux les ravages du stalinisme, et l'on reste rivé à son fauteuil.
Seulement, la symphonie comporte encore deux mouvements, qui ne se hisseront ce soir jamais au même niveau. Le Scherzo peine à trouver ses marques, trop soucieux d'une mise en place impeccable, et voit l'orchestre baisser de concentration, tout comme le Finale, où la valse de mort initiée par les cordes dans un trois temps impitoyable manque de mordant, et s'essouffle dès ses premières mesures. Et bien que le dernier climax demeure impressionnant et la descente aux enfers terminale de belle facture, on est loin de la machine à broyer de l'homme qui avait pris aux tripes pendant l'intégralité du premier mouvement.
C'était sans doute le prix à payer pour une entrée en matière aussi fracassante et saturée, littéralement inouïe !
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Canapé tout confort
L'Auditorium de Dijon, réputé pour son acoustique incomparable dans tout l'hexagone, n'est peut-être pas la meilleure salle pour Mozart. Comme parée d'un vêtement trop large, la Symphonie concertante s'y évapore dans une réverbération superflue et son image sonore, enveloppée dans un halo, demeure légèrement floue. Si l'orchestre d'Ashkenazy demeure consistant, avec des dosages loin de la musicologie, on ne dédaignera pas ses cors modernes, enfin infaillibles, et on note que l'épaisseur orchestrale est habilement compensée par un discours allant toujours de l'avant.
Mais ce sont surtout les solistes qui captent l'attention. La violoniste Janine Jansen et Julian Rachlin à l'alto, couple idéal, livrent un chant gémellaire de toute beauté, d'une intense complicité. Le jeu de la violoniste, d'une présence étonnante jusque dans des sons filés pianissimo, fascine par son intelligence du phrasé, ciselant la moindre note dans une matière pétillante, d'autant que l'altiste, bien que plus fragile, lui donne une réplique efficace.
Après ce Mozart moderne, un Chostakovitch à l'occidentale, loin des timbres hypertendus typiquement russes. Ashkenazy profite du confort que lui offre le National, mettant en relief des cuivres brillants, puissants, et des bois épais. On notera une finition quasiment irréprochable et un souci de la couleur orchestrale qui porte l'ONF à un rang international.
Malgré l'excellence, le chef russe passe cependant à côté de la 4e symphonie. Car sa prédilection pour une lecture très instrumentale, voire léchée, n'est pas plus au service de l'architecture démente de l'oeuvre qu'elle n'en sert le propos urgent et tragique. Certes, on se délecte de la beauté sonore, des solos qui s'épanouissent magnifiquement dans une acoustique qui tend nettement à lisser ; mais rien n'accroche véritablement l'oreille. Ce qui pouvait paraître démesuré au TCE ne remplit pas même l'espace de l'Auditorium de Dijon.
En résulte une 4e pour chaîne hi-fi et canapé tout confort qui éclipse le Chostakovitch architecte de la démesure comme celui du souffle tragique hors du commun, si bien que l'on se dit finalement qu'Ashkenazy n'a pas su choisir.
Benjamin GRENARD
Auditorium de Dijon, 17/03/2006
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 16/03/2006 Yannick MILLON |
| Concert de l'Orchestre national de France sous la direction de Vladimir Ashkenazy, avec la participation de la violoniste Janine Jansen et de l'altiste Julian Rachlin au Théâtre des Champs-Élysées, Paris, puis à l'Auditorium de Dijon. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Symphonie concertante pour violon, alto et orchestre en mib majeur, K. 364 (1779)
Janine Jansen, violon
Julian Rachlin, alto
Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie n° 4 en ut mineur, op. 43 (1936)
Orchestre national de France
direction : Vladimir Ashkenazy | |
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