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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Nouvelle production d'Iphigénie en Tauride de Gluck mise en scène par Krzysztof Warlikowski et sous la direction de Marc Minkowski à l'Opéra de Paris.
L'insoutenable poids du fatum
Maria Riccarda Wesseling (Iphigénie)
Quoi qu'en dise Gerard Mortier, rien ne va plus entre le public parisien et lui. Le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski a en effet été accueilli par une bronca inouïe à l'issue de la première d'Iphigénie en Tauride, dont il a pourtant su révéler l'insoutenable tension tragique, transcendée par une équipe musicale souvent exceptionnelle.
Nouvelle critique : Iphigénie triomphe enfin
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L'ambiance est-elle à ce point électrique à l'Opéra national de Paris pour que la direction se sente obligée de produire le certificat médical de Mlle Susan Graham, forfait quelques heures avant le lever de rideau ? La soirée s'annonçait certes houleuse pour Krzysztof Warlikowski, dont les débuts anticipés à l'Opéra, suite au retrait d'Isabelle Huppert, initialement prévue pour mettre en scène cette Iphigénie en Tauride, ont été salués par une bronca d'une violence inouïe, dernière d'une série initiée cette saison par le Don Giovanni revu et corrigé par Michael Haneke.
Aussi inabouti, inégal soit-il, le travail du metteur en scène polonais développe pourtant une force insoutenable. Au seuil de la mort – et c'est avec une grande violence que la décrépitude, la solitude sont ici révélées, dans une maison de retraite trop artificiellement sordide, jusqu'au ridicule du ballet des Scythes figuré par des vieilles dames en goguette –, Iphigénie se souvient, en un authentique rite de passage qui, au rythme de la mémoire qui petit à petit revient, enfin s'emballe, jusqu'à la profusion, lui permet de s'éteindre, à travers la rédemption du fratricide qu'elle n'a pas commis.
Image confondante de puissance que celle de cette vieille dame se mirant dans sa jeunesse, double chantant, superposée à son propre reflet dans cette cage de verre, qui clôt l'espace, tout en le laissant envahir par les regards – celui du public qui s'y reflète, des pensionnaires de la maison de retraite, et des Atrides –, et surtout ouvert au souvenir, ou encore du sacrifice d'Iphigénie, empruntée au Sacrifice d'Isaac du Caravage, le pouce d'Agamemnon pénétrant la chair de sa fille.
Krzysztof Warlikowski donne à voir, à travers la projection des meurtres, sacrifices et incestes qui coulent dans le sang des Atrides, ce poids du fatum qui inlassablement se répète, écrasant la prêtresse vouée à Diane pour échapper à la lame de son père Agamemnon, alors qu'elle-même s'apprête à commettre l'inceste avec ce frère qu'elle ne reconnaît pas, sous le regard de ses parents, de ses soeurs, de son frère, et de Thoas même, qui depuis la salle, spectateur, guette, encourage le fratricide.
La force qui se dégage du corps incandescent de Maria Riccarda Wesseling, qui ne devait assurer que les trois dernières représentations, est à cet instant transcendante, au terme d'une catharsis saisissante, dans laquelle la mezzo-soprano suisse se jette avec tout le poids de l'hybris. Et si le timbre n'a rien de remarquable, l'art de la chanteuse est immense, qui apprivoise, fait sienne cette déclamation gluckiste qui si facilement se fige, dans un français immaculé, et d'une ligne superbement tenue, modulée, comme taillée dans le silence.
D'un métal un peu blanc sans doute, mais d'une extrême facilité, l'Oreste de Russell Braun atteint ce même degré de puissance sacrificielle qui ouvre la voie à l'expressionnisme, comme s'il lisait l'Iphigénie de Gluck à travers le prisme de l'Elektra de Strauss et Hofmannsthal. Idéal de timbre, de tessiture et de diction, le Pylade de Yann Beuron est curieusement embarrassé par la mesure, ne pénétrant jamais le naturel d'un geste déclamatoire à la prosodie parfois hasardeuse, mais jamais hors style, comme peut l'être par ses ports de voix, ses aigus détimbrés, ses vociférations, que certes le rôle induit, le Thoas de Franck Ferrari, dont les voyelles n'en sont pas moins glaçantes.
Comparé à lui-même, Marc Minkowski dirige plus large, plus sombre – l'assise des basses des Musiciens du Louvre est proprement stupéfiante –, comme libéré des contraintes stylistiques, mais d'un flux tragique plus continu, plus dense, plus intense, trouvant un écho souverain dans un choeur relégué dans la fosse, et bien plus concentré que dans la récente reprise de Platée.
Incontestable réussite musicale, cette Iphigénie rompt superbement le marbre de la tragédie gluckiste, mais ne pouvait, tendant au spectateur le plus cruel des miroirs, celui de la vieillesse et de la mort, que susciter les réactions les plus violentes.
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Iphigénie triomphe enfin
Comme le soulignait Mehdi Mahdavi concernant la première, il est compréhensible qu'un spectacle d'une pareille force suscite des réactions violentes chez un public toujours tenté par la nouveauté mais, surtout à Paris où hélas les humeurs tournent aussi vite que les conditions climatiques, accroché à ce qu‘il croit être la vraie tradition du théâtre lyrique.
Copieusement huée lors des premières représentations, très fortement attaquée par une grande partie de la presse, la production de Krysztof Warlikowski aura quand même connu un vrai et grand triomphe lors de son ultime représentation. L'excellence de l'interprétation musicale n'a sans doute fait que croître au fil du temps et la puissance des visions proposées par le metteur en scène, sa décoratrice et son éclairagiste ont fini par l'emporter sur les préjugés et les cabales locales.
L'intelligence profonde de ce traitement de l'oeuvre, en parfaite osmose avec la logique théâtrale des XVIIe et XVIIIe siècles qui ne cherchaient qu'à engendrer l'émotion, sans le moindre souci de la vraisemblance physique des personnages ni même des lieux – n'oublions pas que la scène était alors encombrée de spectateurs qui bloquaient jusqu'aux évolutions des acteurs – a fini par s'imposer.
Les images, les idées, les couleurs, les volumes, le climat, tout est ici de nature à susciter, mais dans un langage scénique nouveau, provoquant, totalement personnel, ces mêmes « émotions » qui faisaient alors pleurer les rois. Acclamations, multiples rappels, enthousiasme général, les protagonistes peuvent sourire et même rire de voir que leurs efforts pour défendre jusqu'au bout un spectacle de cette qualité sont enfin récompensés. On partage leur satisfaction.
GĂ©rard MANNONI, Palais Garnier, 10/07/2006
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