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CRITIQUES DE CONCERTS |
09 mai 2025 |
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Reprise du Vaisseau fantôme mis en scène par Claus Guth et sous la direction de Marc Albrecht au festival de Bayreuth 2006.
Bayreuth 2006 (4) :
La nef des fous
John Tomlinson (le Hollandais)
Force et cohérence demeurent les maîtres mots caractérisant le Vaisseau fantôme de Claus Guth repris au festival de Bayreuth, toujours avec un plateau discutable, mais dans une approche originale, pertinente, riche et dense. Une exploration de l'inconscient aux confins de la folie, illuminée par un travail d'orfèvre sur l'oeuvre et ses significations.
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Décor unique que cet immense escalier dans une demeure bourgeoise, délimitant des espaces symétriques, peuplés tantôt d'êtres semblant de chair et de sang, tantôt de fantasmes, d'angoisses sourdes, de spectres. Trois Senta y évoluent : l'enfant rêveuse, assoiffée et abreuvée du conte fantastique de ce Hollandais volant qu'attend la femme adulte, et dont la vieille aveugle (Mary) cherche en vain le tableau décroché du mur.
Puis il y a ce Hollandais pathétique, double rassurant d'un père effrayant ou rêvé comme tel, et l'amoureux balourd, Erik, à peine regardé dans cette maison où le délire est roi. Et un rideau de théâtre reptilien réel ou projeté, et de l'eau, des vagues, le calme morbide ou merveilleux des profondeurs, et des marins avançant à tâtons dans l'obscurité ou se faisant la belle de leur rôle de jouets de la petite Senta.
Ainsi Claus Guth enferme-t-il son Vaisseau psychanalytique dans une maison, c'est-à -dire, si l'on pense à Freud, évoqué de manière très explicite par le spectacle, dans le ventre de la femme – le rideau rouge sang prend bien sûr beaucoup de sens dans ces conditions –, qui ne sera peuplé que des démons de son inconscient : le père fantasmé comme terrible et désiré, épousé en noces funèbres, le dehors jamais atteint, le rituel d'une névrose obsessionnelle de Senta qui couche encore et toujours sur le flanc ce même fauteuil où, enfant, son père lui lisait l'histoire du marin damné.

Obsessions, gestes répétés selon les péripéties de l'action, construction dynamique et pertinente de l'espace, Claus Guth fait montre d'un soin et d'un questionnement admirables, sans jamais perdre l'écoute de la musique. Même si toute l'histoire est fruit de l'imagination bovaryste de Senta, au-delà des symboles affleure une humanité déchirante, l'angoisse de la jeune fille incapable d'apprivoiser les forces sauvages qui habitent les méandres de son être, la douleur du Hollandais, fût-il un produit de son inconscient.
L'étrangeté existe jusque dans cette demeure confortable et capitonnée, et même dans ce lieu calfeutré plus qu'ailleurs, où absolument tout fait sens et renvoie par le biais des symboles à ce réservoir de pulsions obscures dont Senta est possédée. L'extraordinaire scène finale fait briller un instant l'espoir du salut de la jeune femme et du Hollandais, mais il n'en est rien : disparue à sa poursuite dans les replis du rideau écarlate qui a réinvesti la scène, on la découvre, lorsqu'il se retire comme une marée descendante, cherchant en vain dans le mur une porte qui n'existe pas.
Un plateau décevant
La partie musicale est bien tenue par un Marc Albrecht innervé, efficace, cursif et de ton grave. L'orchestre et les choeurs sont admirables, précis, contrastés, colorés. C'est donc du plateau que viendra la déception : en mal de grâces, Adrienne Dugger n'a pas les moyens de réussir les joliesses qu'elle tente ; Alfons Eberz rugit son rôle d'amoureux avec une émission d'un rustre rarement égalé ; Uta Priew est assez inexistante, n'offrant plus guère d'étoffe à une voix un peu lâche.
Le haut du panier sera tenu par le timonier très élégiaque de Norbert Ernst, le Daland très charpenté de Jaakko Ryhänen, belle voix, beau métal, parfois un rien incontrôlé, mais avec des moyens magnifiques, et bien sûr le Hollandais souverain, vulnérable et captivant de John Tomlinson, certes vieillissant et à court de ressources, mais encore profondément diseur et acteur. Qu'importent quelques aigus difficiles, pourvu qu'on ait la détresse ?
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