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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Récital de la soprano Angela Gheorghiu accompagnée par l'Orchestre de Bretagne sous la direction d'Eugene Kohn à la salle Pleyel, Paris.
Diva sinon rien
Pleyel est la salle des grands retours. Après Bryn Terfel, c'est au tour d'Angela Gheorghiu de triompher, pour sa première apparition parisienne depuis la miraculeuse Bohème de novembre 2001. Le public n'a en effet pas tenu rigueur à la soprano roumaine de ses annulations à répétition, et lui a réservé une ovation debout au terme d'un concert où la diva a occulté l'artiste.
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Qu'est-ce qu'une diva ? En italien, cela signifie « déesse », et l'art lyrique s'en est justement emparé pour désigner ses cantatrices les plus célèbres. D'admiratif, le terme est pourtant devenu péjoratif, à cause de quelques caprices passés à la postérité, mais aussi, sans doute, d'une certaine Bianca Castafiore, jusqu'à incarner une image vieillotte de la chanteuse, allergique à tout sauf à elle-même, et passant davantage de temps à ajouter des clauses extravagantes à ses contrats en sirotant des jus de fruits exotiques sous des chapeaux bariolés qu'à servir son art. Quelle jeune cantatrice promise à la gloire n'y est pas allée, ces dernières années, de son : « Diva, moi jamais Â» ?
À quoi reconnaît-on une diva ? À sa capacité à se faire désirer – en laissant par exemple passer un temps qui ne peut paraître qu'interminable entre la première pièce orchestrale du programme et son entrée en scène –, à son art de s'affranchir de la battue du chef d'orchestre – mais qu'importe l'orchestre, le public n'est là que pour elle –, à l'éclat de ses parures, à la variété de ses toilettes et de ses coiffures, au gigantisme du bouquet qu'elle se fait offrir, à sa ressemblance calculée avec Maria Callas – même si son attitude rappelle davantage Dalida –, à la suffisance des propos lapidaires tenus aux journalistes à l'occasion de la sortie de son nouveau disque ou d'un concert dans une ville où elle a su se faire rare – l'entretien paru dans le Monde daté du 4 novembre restera sans doute dans les annales comme le modèle absolu du genre –, à ses mines bouleversées par l'accueil énamouré du public. La liste n'est certes pas exhaustive.
Assumant son statut avec une désarmante authenticité, Angela Gheorghiu cultive jusqu'à la moindre de ses caractéristiques, aussi détestables soient-elles. Mais une diva ne se doit-elle pas, aussi, et peut-être même surtout, d'éblouir par son rayonnement artistique ? Au somment de ses moyens vocaux, la soprano roumaine exhibe un timbre miraculeux d'or liquide, égal, qui sait se parer de velours dans le bas du registre, sans jamais s'assombrir. Incontestablement la plus belle voix du moment avec Renée Fleming.
Inégalable plaisir du son
Mais la diva, virevoltante dans ses estivales mousselines, se veut assoluta, et enchaîne, dans une absence de style, un français improbable – voyelles indéfinissables et consonnes escamotées, l'italien subit peu ou prou le même sort –, et sans souci d'adéquation vocale, l'Air des Bijoux, idéal pour ce diamant vocal, les larmes de Chimène, la petite table de Manon, et la Habanera de Carmen. Inégalable plaisir du son, où se perd le sens.
Dans Puccini et Verdi, les formats ne sont pas moins divers, et surtout trop spinti, à l'exception du beau songe de la Rondine, voire du beau jour de Madame Butterfly. La moindre difficulté se résout par une accélération subite, et l'Orchestre de Bretagne, qui n'est déjà pas particulièrement à son affaire, se perd, sous la baguette complaisante d'Eugene Kohn, celui-là même qui accompagna les classes de maître de Maria Callas à la Juilliard School – une diva sait aussi choisir ses partenaires.
Beau succès, mais dès que Roberto Alagna – une diva mariée à un divo, c'est un conte de fées moderne – fait son apparition, un immense bouquet dans les bras, sans oublier une banane pour le chef, après le premier bis, le public soupire d'aise et fait un triomphe qui s'achèvera debout, dès avant un O mio babbino caro enfin touchant accompagné au seul piano, et que ne pourra ternir une coupure de courant. Car une diva se doit de briller jusque dans le noir.
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Salle Pleyel, Paris Le 04/11/2006 Mehdi MAHDAVI |
| Récital de la soprano Angela Gheorghiu accompagnée par l'Orchestre de Bretagne sous la direction d'Eugene Kohn à la salle Pleyel, Paris. | Berlioz, Gounod, Massenet, Bizet, Mascagni, Puccini, Verdi.
Angela Gheorghiu, soprano
Orchestre de Bretagne
direction : Eugene Kohn | |
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