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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Création parisienne de Faustus, the Last Night de Pascal Dusapin dans la mise en scène de Peter Mussbach et sous la direction de Jonathan Stockhammer au Théâtre du Châtelet.
Terrible Faustus
Reprise au Châtelet du spectacle créé à Berlin, Faustus, the Last Night est probablement l'oeuvre la plus riche et la plus inspirée de son auteur. D'un nihilisme radical, cet opéra métaphysique impressionne par son intensité et sa force tragique. Ne lui manque qu'un soupçon d'humanité pour prétendre au rang de grand chef-d'oeuvre.
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Le précédent opéra de Pascal Dusapin, Perelà , uomo di fumo – créé à l'Opéra Bastille en 2002 – avait laissé le souvenir d'une oeuvre parfois anecdotique, tant la splendeur de l'écriture vocale dissimulait mal la froideur d'un orchestre trop distant. Dès les premiers roulements de caisse claire de Faustus, le spectateur est violemment empoigné dans un tourbillon d'une noirceur absolue. Car il n'y a pas à proprement parler d'intrigue dans l'opéra ; librement inspiré du Faust de Christopher Marlowe, le livret montre essentiellement une conversation nocturne entre Faust et Méphistophélès. Y sont évoquées jusqu'à la suffocation des questions telles que la place de l'homme dans l'univers, la création du monde, la transcendance et le néant.
Dans un premier temps, la mise en scène de Peter Mussbach paraît bien en deçà de cet orchestre abrasif et bouleversant : percussions démoniaques qui bousculent le flux en apesanteur des cordes, écartelées entre l'extrême aigu et l'extrême grave. Face à un livret qui laisse l'imagination libre, Mussbach choisit en effet de mettre sur scène des personnages perchés sur une grande horloge. Idée ingénieuse pour représenter l'inexorable de l'écoulement du temps mais qui force souvent les personnages à écouter immobiles une musique qu'on a pourtant rarement entendue aussi intense dans le répertoire contemporaine.
Si la direction d'acteurs semble ne retenir du projet du compositeur qu'une conversation un peu absconse et didactique, on est néanmoins tenu en haleine et l'oreille est régulièrement étonnée par les trouvailles de Dusapin : ainsi de la danse rythmée par les claquements de mains des musiciens – de l'excellent Orchestre de l'Opéra de Lyon, dirigé par un Jonathan Stockhammer très engagé.
Avec l'entrée de nouveaux personnages, tels un ange, seule voix féminine de l'opéra, un clochard nommé Sly, en hommage à Beckett, la mise en scène affirme sa cohérence et trouve le ton idoine pour cette nuit tragique. Par l'apparition de lapins géants, Mussbach injecte du grotesque et humanise ces personnages symboliques qui sans cela auraient pu paraître bien abstraits. Les performances très clownesques de Georg Nigl en Faustus et Robert Wörle en Sly y prennent alors toute leur saveur, et musique et mise en scène se lient enfin pour un spectacle magistral, et déjà capté en DVD par Naïve lors de la création lyonnaise.
Une musique d'avant la catastrophe
Pourtant, Faustus n'est pas tout à fait le grand chef-d'oeuvre que l'intelligence théâtrale et le talent hors-norme de Dusapin sont susceptibles d'offrir. Le compositeur écrit une musique d'avant la catastrophe ; on ressent véritablement la panique de l'homme perdu face à l'infini, mais pareil à son personnage, obnubilé par sa volonté de savoir « qui a créé le monde », Dusapin cherche trop à dire le désespoir. Inexorable, sa musique cherche sa dissolution mais en oublie le présent. Comme les personnages qui n'arrivent pas à sortir d'eux-mêmes ou du monde qui les entoure – There's nothing, that's the way it is –, l'oeuvre hurle, trouble, impressionne, et de quelle façon, mais refuse l'épanchement et le partage.
De cet ange qui s'arrache les plumes, on ne sait ainsi si la faute revient à la mise en scène qui ne parvient à faire de cette vision une image inoubliable ou à la musique qui ne parvient à s'arrêter pour fixer cet instant déchirant. Du grand chambardement final où s'entremêlent avec virtuosité les différentes tessitures et le personnage à part entière qu'est devenu l'orchestre, l'opéra reste constamment intérieur.
C'est donc ébloui par la force de l'oeuvre qu'aucun autre compositeur en France ne semble actuellement en mesure d'égaler, que l'on ressort du Théâtre du Châtelet, mais aussi légèrement frustré par l'obstination d'un compositeur souvent capable de toucher au sublime.
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