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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Betulia liberata de Mozart sous la direction de Nikolaus Harnoncourt à la salle Pleyel, Paris.
Gravité mozartienne
Rarissime à Paris, Harnoncourt était assuré de remplir la salle Pleyel malgré la programmation d'une Betulia liberata de Mozart d'ordinaire peu mobilisatrice. À la tête du Concentus Musicus, du Choeur Arnold Schoenberg et d'un très beau plateau, l'Autrichien exalte jusqu'à l'excès le tragique d'un oratorio de jeunesse qui n'a jamais revêtu pareille gravité.
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Complicité artistique
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Hommage au réalisme poétique
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S'il est un chef parmi ceux qu'on appelait autrefois les baroqueux qui sait se faire désirer à Paris, c'est bien Nikolaus Harnoncourt, si rare que chacune de ses apparitions fait figure d'événement, même avec des ouvrages aussi peu vendeurs que la Betulia liberata de Mozart. Commandé au jeune Wolfgang de quinze ans lors de son premier voyage en Italie, l'unique véritable oratorio de sa production, narrant l'épisode biblique de Judith et Holopherne, comporte son lot de beautés, largement exhumées l'année passée.
Harnoncourt, connu pour sa capacité à déceler du malaise, du tragique dans tout ce qu'il touche – jusque dans la Chauve-Souris de Johann Strauss –, refuse ainsi à la Betulia sa jeunesse, sa naïveté, sa débauche de virtuosité, pour en faire un grand oratorio au souffle romantique, d'une solennité, d'une rigueur, d'une noirceur même qui, dépassant largement l'influence gluckiste, anticipe sur les grandes fresques religieuses du XIXe siècle.
L'ouverture, lente, scandée avec sévérité par les cuivres en des accents impitoyables, laisse augurer de funestes présages pour le peuple assiégé. L'approche du chef autrichien exalte autant les pages les plus réussies, érigées au rang de chefs-d'oeuvre – le sublime air avec choeur d'Ozias Pietà , se irato sei ; le lamento de Chabris Ma qual virtù – qu'elle prive la deuxième partie, moins accomplie, de naturel et de fluidité, n'allégeant guère un ouvrage qui n'exigeait sans doute un soin rhétorique aussi maniaque, surtout dans des récitatifs littéralement disséqués.
Grandeur tragique
Mais la grandeur tragique qui émane de l'interprétation est assez irrésistible. Et alors qu'ils fêtent ensemble le cinquantième anniversaire de leur tout premier concert, le Concentus Musicus et Harnoncourt font montre à chaque instant de leur complicité, de leur disposition à faire corps. Hormis dans certaines introductions des airs où la battue cherche son tempo, le rendu sonore est magistral, tout comme le choeur Arnold Schoenberg superbe de plénitude mêlée d'inquiétude.
Le plateau réuni pour l'occasion, bien que placé derrière l'orchestre, là où la projection des voix est la moins aisée, fait honneur à cette lecture tourmentée. L'Ozias de Jeremy Ovenden a l'agilité et l'étoffe royale requises, une émission haut-placée à la Simoneau, un timbre clair et un rien nasal qui en font le ténor mozartien idéal. Malgré une voix de plus en plus rentrée et un léger assombrissement du timbre, Luba Orgonásová demeure une émouvante Amital, modèle de legato, d'homogénéité, de ligne de souffle, et détentrice de l'une des plus magnifiques messa di voce qui soient.
Georg Zeppenfeld confirme en Achior un matériau somptueux – les graves naturels, la noblesse du timbre, l'égalité de la voix – et un chant aristocratique qui font merveille. Eva Liebau est un Chabris lumineux, aux magnifiques intentions – la pureté de tenues non vibrés sur toute la longueur – et fait partie, aux côtés des Julia Kleiter et Sophie Karthäuser, de ces jeunes sopranos qui seront sans doute les grandes mozartiennes de demain.
En définitive, seule la Judith de Marijana Mijanovic – dont on a coupé ce soir le deuxième air – pose problème, comme à Salzbourg l'été dernier. Pourtant, l'émission, l'intonation paraissent plus stables, mais comment ne pas être dérouté par cette voix chaotique et fabriquée sonnant comme celle d'un contre-ténor en bout de course et sortant d'un physique d'une maigreur effrayante ? Un petit surplus de componction pour cette Betulia liberata transformée en drame universel.
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