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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Concert des Münchner Philharmoniker sous la direction de Christian Thielemann, avec la participation du violoniste Gil Shaham au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Germania triumphans
Sentiment mitigé à l’issue de ce concert de Christian Thielemann à la tête de la Philharmonie de Munich au TCE. Si l’archet perfectible mais inspiré de Gil Shaham accouche d’un Concerto pour violon de Brahms chauffé à blanc, une 4e symphonie de Schumann discutable mais d’une puissance toute germanique fait suite à un Manfred proche du désastre.
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Si souvent décrié en France, si souvent adulé en Allemagne, Christian Thielemann est un interprète entier autant que d’une totale irrégularité, tantôt génial héritier des grands chefs germaniques du passé, tantôt Kapellmeister éléphantesque tout juste apte à structurer les équilibres d’une partition. Selon le répertoire, l’orchestre, l’humeur du moment, la battue est donc capable de prodiges comme de ravages.
Ce concert au Théâtre des Champs-Élysées en est la parfaite illustration, débutant sous les mauvais auspices d’une ouverture de Manfred méconnaissable, dans l’œil d’un cyclone agogique destructeur, où un legatissimo insensé, ruinant toute fermeté de l’articulation, enfonce le clou de variations de tempo proches de l’insoutenable.
Ainsi, chaque mesure, chaque figure rythmique font l’objet d’un traitement individualisé, et passent à la moulinette d’un rubato ne répondant à aucune logique structurelle, sinon celle d’un bon vouloir purement décoratif. Aucune tension, aucune arche, aucune trépidation ni aucun drame dans ce Schumann entamé par trois accords exsangues et constellé de pailles d’équilibre dans les voix internes.
On a l’impression de revivre en direct le cauchemar de l’intégrale des symphonies enregistrée avec le Philharmonia, ratage du passé qui laisse à craindre pour la 4e symphonie prévue après la pause. Entre-temps, la présence d’un soliste dans Brahms cadre naturellement plus l’élasticité du geste, et le discours bénéficie cette fois d’une cohérence, d’une avancée nettement plus évidentes, réservant même aux tutti une belle flamme.
Thielemann tisse un dialogue passionné avec le violon sensible, d’une très belle sonorité Mitteleuropa – à condition de ne pas être trop pointilleux sur l’intonation ou l’approximation des démanchés – de Gil Shaham. Le soliste, s’approchant souvent à quelques centimètres de la main gauche du chef, vit aussi intensément les passages orchestraux que les siens, porté par l’énergie virile d’une battue qui prodigue un Finale d’un magnifique élan rhapsodique, où brillent les cordes charnues de la formation munichoise.
Passé un entracte des plus courts, le premier accord ouvrant la 4e symphonie de Schumann dissipe les angoisses de Manfred, dans une superbe entrée en matière à la Karajan, le geste à l’allemande, précédant nettement le son, dans une plénitude sans dureté de la plus belle ouvrage. Le tempo d’ensemble reste soutenu, avec une pâte sonore dense, profonde, aux superbes graves, la démonstration orchestrale souvent magistrale, avec un art consommé de la puissance et de la cohésion des blocs sonores – aux antipodes de l’enregistrement filandreux pour la Deutsche Grammophon.
Et si l’on peut ergoter là encore sur un rubato parfois encombrant, du moins reste-t-il cette fois dans les bornes de l’acceptable. On regrettera surtout, conformément à ses déclarations au Figaro, que Thielemann n’aime pas plus le rythme, à l’inverse de son mentor sus-cité, toujours très scrupuleux quant à la vigueur de l’articulation, et qu’il ne tienne pas assez la bride sur ce point – lacune plus négligeable dans l’ouverture émaillée d’extraits de la Marseillaise Hermann und Dorothea donnée en bis.
Mais finalement, ce sfumato orchestral et le caractère angoissé des fluctuations de la pulsation servent un Schumann cyclothymique et donc psychologiquement assez juste. Qu’importent alors le martèlement appuyé des levées du Scherzo, une transition III-IV en rouleau compresseur et des cadences finales fortement ralenties ; la vision se tient et a le mérite d’exister, aussi Germania triumphans soit-elle. Chacun en appréciera le bien-fondé selon son goût…
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 23/05/2008 Yannick MILLON |
| Concert des Münchner Philharmoniker sous la direction de Christian Thielemann, avec la participation du violoniste Gil Shaham au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Robert Schumann (1810-1856)
Manfred, ouverture op. 115 (1849)
Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, op. 77 (1878)
Gil Shaham, violon
Robert Schumann (1810-1856)
Symphonie n° 4 en ré mineur, op. 120 (1841-1851)
MĂĽnchner Philharmoniker
direction : Christian Thielemann | |
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