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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Nouvelle production de Don Giovanni de Mozart mise en scène par Claus Guth et sous la direction de Bertrand de Billy au festival de Salzbourg 2008.
Salzbourg 2008 (1) :
Promenons-nous dans les bois ?
Christopher Maltman (Don Giovanni) et Dorothea Röschmann (Elvira).
Sans atteindre à la poésie crépusculaire de ses Noces de Figaro, Claus Guth signe avec ce Don Giovanni dont les personnages partent vraiment à la dérive le deuxième volet de sa trilogie Mozart-Da Ponte pour Salzbourg. Une vision extrémiste qui a le mérite d’une absence totale de concessions, défendue par un orchestre roide et un plateau très engagé.
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« Welche Schlampen ! » (quelles salopes !), s’exclamait un spectateur amusé à l’issue de ce Don Giovanni qui n’y va pas par quatre chemins dans l’exploration de la perversité féminine. Aux prises avec de véritables dragonnes, le séducteur de Séville se voit lavé de toute responsabilité, victime des assauts sexuels de ces dames qui non seulement en redemandent, mais ne le lâchent pas d’une semelle.
Dans le décor unique, sur plateau tournant, d’un sous-bois reculé qui n’est pas sans rappeler la forêt de Siegfried de Tankred Dorst à Bayreuth, on assiste à la déchéance d’un Don Giovanni alcoolique et toxico, dont les injections sont le seul remède au mal-être, épaulé par un Leporello racaille tout aussi ravagé par les stupéfiants, bègue, secoué de tics nerveux et de tocs.
Si souvent frigide, sans autre épaisseur que sa tristesse, Donna Anna est ici tout l’opposé, sachant son point G sur le bout des doigts, garce suicidaire qui tire les ficelles et manipule les hommes au gré des revers de fortune, dévorant Don Giovanni telle une mante religieuse, armant contre cet amant devenu gênant un Ottavio plus dindon de la farce que jamais, échangeant à la barbe de ce dernier de langoureux baisers avec le malheureux dont elle prépare l’assassinat, alors même qu’elle n’aura pas le cran d’appuyer sur la détente ; Guth entreprend une lecture acrobatique qui malmène quelque peu le synopsis traditionnel mais ne trahit jamais le mot à mot du livret.
Au diable aussi la Zerline gentille paysanne naïve, au profit d’une petite perverse qui apprend très vite, resservant à Masetto sur sa balançoire le numéro de séduction que Don Giovanni vient de lui jouer, avant de torturer avec un sadisme rare un Leporello qui frôle de peu la pendaison. Seule à sauver, l’Elvire au bord de la crise de nerfs de Dorothea Röschmann brûle les planches en petite bourgeoise folle amoureuse sous son abribus, maladroite, mal dans sa peau, peu rancunière et somme toute attendrissante.
Pourtant, la production commence mal, avec pendant l’ouverture un court lever de rideau sur l’assassinat du Commandeur, dans un ralenti kitschissime, dont l’idée prélude seulement à une fin de I où le héros, dans le même œil de caméra à mi-scène, échappe à la raclée qui lui était promise. On attend toujours la chute au II pour justifier cette entrée en matière que dans ce contexte – et toute volonté d’analyse freudienne de meurtre originel du père n’y pourra rien – on ne verra que comme une idée saugrenue.
Dans des brumes de film d’épouvante, la scène du cimetière fait froid dans le dos, avant un tableau final où le gentilhomme et son valet paraissent au bout du rouleau, le Commandeur avec un bandage sur la tête – donc peut-être seulement blessé ? – creusant la tombe dans laquelle s’effondrera Don Giovanni, un loup rôdant alentour.
Bertrand de Billy défend un Mozart sec et cassant – version de Vienne, sans le sextuor final –, qui ne laisse jamais aux chanteurs le temps de respirer. Direction dramatique – les angles saillants de la scène du souper – mais assez pauvre en couleurs, démesurément sanctionnée aux saluts. Au milieu des coups de cravache, le travail sur les récitatifs, à l’accompagnement digne du cinéma muet, truffé d’inquiétants silences, aurait mérité plus de reconnaissance.
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Le plateau, furieusement engagé dans une direction d’acteurs d’une vraisemblance toute cinématographique, ne propose pas plus de prestation indigne que renversante, à l’exception de l’Elvira de Dorothea Röschmann, torche vive, dont la voix diesel peine toujours au démarrage, mais dont la fébrilité, l’ardeur des aigus, la somptuosité des piani et des piqués sont d’une immense artiste, si convaincante dans ces rôles de névrosées.
Face à elle, l’Anna plantureuse d’Annette Dasch donne plus à voir qu’à entendre, Mozart soulignant impitoyablement ses inégalités de registres, ses pailles d’intonation, la grosseur de certaines voyelles et des aigus, même si la voix reste d’une belle plénitude et la comédienne épatante. Timbre à croquer, la Zerlina d’Ekaterina Siurina pourrait améliorer son italien mais demeure le rayon de soleil pénétrant les frondaisons de la production.
Côté masculin, on ne s’étendra pas sur le Leporello à la plastique musculeuse de M. Netrebko, tant sollicité par l’hystérie de son rôle qu’il est difficile de faire la part du jeu et du naturel. L’acteur Erwin Schrott, en tout cas, est excellent. Don Ottavio musical et joliment phrasé de Matthew Polenzani, Masetto sans histoires d’Alex Esposito, répondant au Commandeur d’Anatoli Kotscherga, qui claironne des aigus vieillis.
Enfin, Christopher Maltman est un Don Giovanni « hunk » assurément baryton, dont la blancheur de certaines interventions rappellerait un Hampson mais qui, pourtant blessé à mort dès l’affrontement avec le Commandeur, conserve une hargne physique digne d’un héros de film d’action à l’américaine.
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