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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Nouvelle production de Mort à Venise de Britten mise en scène par Yoshi Oida et sous la direction de Martyn Brabbins à l’Opéra de Lyon.
Les jeux d’Apollon
À mi-chemin entre l’intemporalité d’un jardin zen et une élégance on ne sait victorienne ou viscontienne, Yoshi Oida construit une Mort à Venise admirablement maîtrisée, jusque dans le rythme très particulier d’un opéra en forme de monologue intérieur ; on regretterait à peine une approche trop uniment apollinienne de la dernière œuvre lyrique de Britten.
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Complicité artistique
Sombre Volga
Hommage au réalisme poétique
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Der Tod in Venedig était déjà une nouvelle inadaptable ; Visconti ne s’y était pas trompé, qui afin d’échapper à l’écrasante introspection du poète avait dans son film de 1971 eu recours à une autre muse plus malléable que l’éloquente Calliope et à peine évoquée chez Thomas Mann, l’Euterpe musicienne, pour exprimer l’inexprimable vie intérieure d’Aschenbach.
Britten, soumis à d’autres contraintes, plus grandes encore – notamment l’absence de narrateur et de point du vue presque afférent à la représentation scénique – élabora en 1973 avec la complicité de Myfanwy Piper un opéra très particulier intégrant de grandes plages de monologues introspectifs, une multitude de figurants et de personnages quasiment tous allégoriques, et un rôle de danseur – donc muet – pour l’adolescent idolâtré.
De ces spécificités, l’œuvre tire tout ensemble une grande originalité par rapport au genre lyrique, une grande cohérence, mais aussi une réelle difficulté à être portée sur les planches. C’est tout le talent de Yoshi Oida de restituer avec un grand sens du chronos cette vaste immobilité berceuse qui se joue dans la Serenissima.
Si l’assez long premier acte fait craindre une neutralité, une quotidienneté que relaient la battue à de rares exceptions près très étale de Martyn Brabbins, et certaines scènes banales – le voyageur pour qui connaît Mann, et surtout le vieux beau pour qui connaît Visconti –, le basculement opéré au moment du faux départ d’Aschenbach n’en est que plus magistral, et surtout la brusque exaltation qui s’empare du malheureux avouant d’un mot dérisoire sa flamme – I love you – consomme la disparition du temps lisse savamment installé par le metteur en scène.
C’est ainsi le fait d’une habile compréhension de l’œuvre si les réactions gentiment bourgeoises d’Aschenbach ont pu irriter et impatienter : ce rythme arrêté conduit délibérément le spectateur par les mêmes errances soudain dionysiaques que le protagoniste, comme si l’Abgrund de Mann – l’abîme – menaçait chacun de l’intérieur, l’artiste plus qu’aucun autre.
Derrière les belles images plaisance presque permanentes, derrière les nombreux ballets ludiques et gymniques en apesanteur signés Daniela Kurz, il s’agit bien de la cruelle trajectoire qui va de l’artiste zélé d’Apollon aux débordements balbutiants d’une vieille âme dépassée par sa passion subite pour Bacchos, trajectoire d’autant plus insupportable qu’elle est publique et honteuse dans cette belle société de manières.
Un Aschenbach Ă la Peter Pears
En Alan Oke, Aschenbach a trouvé une incarnation magnifique, non loin du moelleux de Peter Pears, d’une déclamation soignée et magistralement élégante, d’un flegme impeccable jusqu’à ce que le bon écrivain prenne conscience de sa perdition en marche, d’une fragilité à fleur de peau et d’un désespoir angoissé au deuxième acte – dialogue de Socrate et Phèdre admirablement ressenti, devenant le nœud de l’opéra.
Face à lui, Peter Sidhom instille une voix franche et une bonhommie méphistophélique quelque peu sereine aux complices du destin funeste d’Aschenbach, mais ici encore très bienvenues : ce Dionysos qui accompagne le poète à chaque pas, cette mort indissociable du désir et de la création, ne sont-ils pas les compagnons les plus quotidiens, les plus ordinaires, encore que travestis, de tout être humain ?
Quant au Tadzio énigmatique de Colas Lucot, sur les pas d’une mère très Silvana Mangano, il n’a de cesse de se partager entre une beauté très spontanée – du reste commune à l’ensemble des danseurs, très à l’aise dans cet hymne à l’équilibre du corps humain que sont leurs jeux sur la plage – et des coquetteries gentilles ou méchantes, souriantes ou indifférentes.
« La beauté conduit-elle à la sagesse ? Oui, mais par les sens » C’est tout le pari d’Oida d’atteindre à la force du récit sans jamais renoncer à une limpidité absolue de la forme, la bacchanale elle-même dût-elle y perdre quelque hideur. Pari gagné haut la main avec un spectacle aussi profondément sage qu’il est objectivement beau.
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Opéra national, Lyon Le 27/05/2009 Thomas COUBRONNE |
| Nouvelle production de Mort à Venise de Britten mise en scène par Yoshi Oida et sous la direction de Martyn Brabbins à l’Opéra de Lyon. | Benjamin Britten (1913-1976)
Death in Venice, opéra en deux actes op. 88 (1973)
Livret de Myfanwy Piper d’après la Mort à Venise de Thomas Mann
Coproduction avec le festival de Bregenz, le Statni Opera Praha et Aldenburgh Productions
Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Lyon
direction : Martyn Brabbins
mise en scène : Yoshi Oida
décors : Tom Schenk
costumes : Richard Hudson
Ă©clairages : Paule Constable
chorégraphie : Daniela Kurz
préparation des chœurs : Alan Woodbridge
Avec :
Alan Oke (Gustav von Aschenbach), Peter Sidhom (le Voyageur / le Vieux dandy / le Vieux gondolier / le Directeur de l’hôtel / le Coiffeur de l’hôtel / le Chef des comédiens / la voix de Dionysos), Christopher Ainslie (la voix d’Apollon), Damian Thantrey (un agent de voyage), Colas Lucot (Tadzio), Katharina Bader (la mère de Tadzio), Jérémy Kouyoumdjian (Jaschiu), Marie-Charlotte Chevalier (la Gouvernante). | |
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