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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Reprise du Barbier de Séville de Rossini dans la mise en scène de Coline Serreau, sous la direction de Bruno Campanella à l’Opéra de Paris.
Un Barbier inusable
Karine Deshayes (Rosina) et Antonino Siragusa (Almaviva)
Entre la Mireille manifeste de Nicolas Joel et un Wozzeck estampillé Mortier, l’Opéra de Paris reprend un inusable de l’ère Gall, le Barbier de Séville joliment féministe mis en scène par Coline Serreau. Si la baguette de Bruno Campanella se contente d’afficher un Barbiere de plus à son compteur, la distribution peut s’honorer d’un couple authentiquement rossinien.
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Complicité artistique
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Hommage au réalisme poétique
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Voilà bien un spectacle que l’on revoit avec un plaisir sans mélange, surtout lorsqu’il est remonté avec soin, ce qui est le cas de cette reprise. À la fois décoratif et distancié par un Orient de conte de fées autant que de bande dessinée, le Barbier de Séville vu par Coline Serreau n’en montre pas moins ce qu’il veut dire sur la condition féminine, de la séquestration à l’émancipation. Mais sans jamais prendre la pose, pour que et surtout parce que ce Rossini-là , avant toute chose, doit pétiller.
Sept ans après avoir dirigé la création de cette production, et sans doute pas loin d’une cinquantaine de Barbiere de plus au compteur, Bruno Campanella reste pourtant à court de jubilation, reproduisant sa lecture immuable à un train de sénateur. Çà et là , un trait saillant, d’une couleur un peu plus vive, s’échappe d’un orchestre suffisamment familier des ressorts de l’œuvre pour assurer un minimum de progression musicale, ce qui n’empêche pas le crescendo final du I de hoqueter gentiment. Ce n’est à vrai dire que dans le trio Ah ! Qual colpo inaspettato, à l’avant-dernière scène donc, qu’un soupçon de fantaisie s’empare d’une baguette décidément confite dans la routine.
À sa décharge, le clavecin, qui même surélevé, sonorisé, est une aberration dans une salle aussi vaste que la Bastille, dénerve les récitatifs, concédant quelques arpèges entre des accords plaqués sans le moindre sens du théâtre.
Autant dire que les chanteurs sont livrés à eux-mêmes, et ne doivent leur salut qu’à leur santé vocale. Le Bartolo d’Alberto Rinaldi n’en a tout simplement plus, efficacement projeté encore, parce qu’éminemment clair d’élocution, et donc agile dans le sillabato, mais trop inévitablement barbon pour éviter le premier degré de délabrement. Son exact opposé, Paata Burchuladze exhibe une voix toujours hénaurme et cotonneuse, dont les voyelles absolument nivelées ne constituent ni plus ni moins qu’une injure à la verve rossinienne. Et non, un colpo di cannone tonitruant hors tessiture ne suffit pas à faire un Basilio décent.
D’une aisance, d’une jeunesse insolentes dans l’aigu, le Figaro de George Petean a l’entregent, le bagout qu’il faut, beaucoup moins l’agilité. Antonio Siragusa, lui, en a pour trois. C’est pourquoi le redoutable Cessa di più resistere fait son apparition dans cette production où personne encore ne l’avait osé, et tel un champion de football au dossard légendaire, il le dribble pour ainsi dire nonchalamment. Hormis peut-être dans le suraigu, qui sort de la ligne plutôt que de la prolonger, le ténor sicilien ne laisse de toute manière planer aucun doute sur sa maîtrise comme innée de la vocalité rossinienne. Mais plus encore qu’aux jeunes premiers bouffes, ce léger pincement qui confère au timbre sa maturité le destine d’évidence aux emplois sérieux en mal de titulaire.
Il était temps enfin qu’après avoir promené son Angelina, sa Rosina dans tous les théâtres lyriques de France et de Navarre, Karine Deshayes reprît cette dernière sur la première scène nationale – d’autant que les irréversibles stridences de Maria Bayo lui furent préférées à plusieurs reprises. Dotée d’un timbre de velours malléable sur tout l’ambitus, même si l’aigu, souvent, conquiert plus qu’il ne s’épanouit, la mezzo française phrase une colorature savoureusement idiomatique, véritable démonstration, jamais exhibitionniste cependant, de bon goût rossinien. Celui-là même dont a fait preuve Nicolas Joel en lui offrant de succéder à Joyce DiDonato, révélée à Paris par ce même Barbier, dans le rôle-titre de la Donna del Lago en juillet prochain.
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