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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Reprise de Roméo et Juliette de Gounod dans la mise en scène de Bartlett Sher et sous la direction de Yannick Nézet-Séguin au festival de Salzbourg 2010.
Salzbourg 2010 (3) :
Shakespeare qu’on assassine
Anna Netrebko (Juliette)
Si l’ère Mortier à Salzbourg attentait fréquemment au bon goût, il semble que Jürgen Flimm préfère s’en prendre au théâtre, avec ce Roméo et Juliette de Gounod d’un ennui mortel, totalement déplacé dans un festival créé pour l’expérimentation et la dramaturgie. Bilan : deux morts – Shakespeare et Gounod – et un public ravi.
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Dans une lettre de février 1893 adressée au Prince Poniatowski, Debussy écrivait : « cette déplorable habitude qui consiste à prendre une chose, bien en soi, et à en travestir l’esprit en de faciles et aimables sensibleries, c’est toujours l’histoire de
Faust égorgé par Gounod ; ou Hamlet dérangé bien malencontreusement par Ambroise Thomas. »
Sans vouloir abonder dans ce sens, le critique moderne est forcément confronté à Shakespeare quand il entend le Roméo et Juliette de Gounod, et l’involontaire comparaison, on s’en doute, ne se fait pas spontanément à l’avantage du compositeur. Dès lors, il faut, pour monter ce genre d’ouvrage, une conception forte, une idée de la dramaturgie qui emmène le livret conventionnel vers les mêmes sommets – ou d’autres – que la pièce.
À lire les notes d’intention du programme, on se prend à y croire : Gounod tirant en quelque sorte la substantifique moelle de la pièce, et travaillant surtout sur l’amour pur comme chemin d’accès à Dieu, on n’est pas loin de la métaphysique de Tristan, et effectivement la qualité de la musique permet cette interprétation. Mais au final, il n’y a à peu près rien à retenir d’un spectacle d’une routine absolue.
Le plateau n’est pas indigne, et si le chant y est d’un bon niveau global, avec le charme particulier d’Anna Netrebko, bien que toujours d’une émission slave ici exotique, mais idéale en scène et très musicienne, et – remplaçant Piotr Beczala malade –, l’engagement d’un Stephen Costello un rien léger et parfois sur la corde raide mais d’une belle présence romantique et d’un chant sensible, la magie n’opère à aucun moment.
Deux raisons à cela : d’abord le français calamiteux de tous les participants – chœur et solistes –, avec le sabordage du style qui en résulte et l’impossibilité pour le spectateur de croire une seule seconde à l’action, comme si chacun, à défaut de chanter faux, parlait faux ; ensuite le néant de la mise en scène, où l’on aura cherché en vain pendant toute la soirée une seule idée, une seule prise de position, un seul éclairage.
Le spectacle réjouit merveilleusement le public, sans grande surprise : le français ne dérange personne en terre straussienne, et c’est bien naturel – mais on se demande à quoi sert le travail du Sprachcoach mentionné dans le programme –, et surtout, pour une fois qu’une mise en scène est simplement jolie, le public ne va pas bouder son plaisir.
Jolie, certes, on ne saurait le contester : ni béton, ni néons, ni bunker, ni ex-RDA, on est loin de tout le Regietheater rabâché presque partout. On pense plutôt pendant la fête chez Capulet à la parade de Cendrillon à Disneyland, robe rose dragée à brillants pour Juliette, costumes entre Pirates des Caraïbes pour les Montaigu et les Liaisons dangereuses pour les Capulet, saupoudrés de Commedia dell’Arte et d’Arlequins qui dansent… la valse !
N’était la Felsenreitschule et l’impact de son cadre, la scénographie serait à peine gentiment illustrative, pour ne rien dire de la direction d’acteurs, d’une discrétion inégalable. Même les entrées et sorties sont fréquemment hasardeuses, à tel point que le public – pourtant gagné – de Salzbourg hésite plus d’une fois à applaudir, les fins de tableaux savonnées et toujours mal éclairées retombant sans impact.
L’orchestre, mené par le Canadien Yannick Nézet-Séguin, assène les moments cruciaux – fin du III notamment – avec violence, et prodigue dans les passages amoureux des textures lissées dans un rubato de bon goût mais malheureusement fréquemment en avance sur les chanteurs, en un climat soigné et impliqué, relayé par le plateau, où ne manquent ni l’énergie – le Page, les amoureux, l’escrime –, ni les voix intéressantes, ni le romantisme du style.
Mais les subtilités mélodiques de Gounod disparaissent avec les élégances du livret sous une déclamation barbare, et, la musique définitivement engloutie par une action délétère, c’est bien à la mort du théâtre – et non des amoureux – qu’assiste un public ravi.
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Felsenreitschule, Salzburg Le 16/08/2010 Thomas COUBRONNE |
| Reprise de Roméo et Juliette de Gounod dans la mise en scène de Bartlett Sher et sous la direction de Yannick Nézet-Séguin au festival de Salzbourg 2010. | Charles Gounod (1818-1893)
Roméo et Juliette, opéra en cinq actes (1867)
Livret de Jules Barbier et Michel Carré d’après Shakespeare
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Mozarteumorchester Salzburg
direction : Yannick NĂ©zet-SĂ©guin
mise en scène : Bartlett Sher
décors : Michael Yeargan
costumes : Catherine Zuber
Ă©clairages : Jennifer Tipton
chorégraphie : Chase Brock
préparation des chœurs : Thomas Lang
Avec :
Stephen Costello (Roméo), Anna Netrebko (Juliette), Mikhail Petrenko (Frère Laurent), Darren Jeffrey (le Comte Capulet), Russell Braun (Mercutio), Cora Burggraaf (Stéphano), Michael Sypres (Tybalt), Susanne Resmarck (Gertrude), David Soar (le Duc de Vérone), Mathias Hausmann (le Comte Paris), Andrei Bondarenko (Grégorio), Adrian Strooper (Benvolio). | |
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