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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Le Retour d'Ulysse de Claudio Monteverdi par les Arts Florissants au Festival d'Aix-en-provence
Ulysse gagne l'Olympe aixoise
Le spectacle aixois du millenium restera ce Monteverdi miraculeux, où le metteur en scène Adrian Noble révèle une partition faite pour le théâtre sur des décors et costumes splendides, avec une équipe musicale exceptionnelle. Bonheur total.
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Festival d'Aix - Théâtre du jeu de Paume, Aix-en-Provence
Le 10/07/2000
Sylvie BONIER
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Complicité artistique
Sombre Volga
Hommage au réalisme poétique
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Le mystère ne tient pas seul dans l'alchimie qui rend un spectacle magique. Dans le cas du Retour d'Ulysse dans sa patrie de Monteverdi, mis en scène par Adrian Noble et dirigé par William Christie, ce sont les talents neufs et les jeunes voix déjà aguerries, les artistes renommés à la sensibilité proche et à l'exigence de perfection identique, le merveilleux Théâtre du Jeu de Paume récemment rénové qui créent ensemble un équilibre aussi fragile que parfait. D'autant qu'aucune partie ne veut ici prendre le pouvoir sur l'autre. La musique, servie en fosse par des Arts Florissants qui tissent un voile arachnéen autour des voix, est déroulée avec une infinie délicatesse. Pas de chef aux commandes. Le grand Bill est aux claviers, comme son collègue Roger Hamilton, claveciniste fin et attentif qui danse sur ses touches. L'esprit de collégialité règne en maître entre fosse et scène. Les instrumentistes, les yeux souvent rivés sur les chanteurs dont ils suivent chaque mouvement avec passion, respirent à leur rythme, se coulent sous leurs voix. C'est dire qu'on participe à un véritable discours musical, rarement porté à ce degré d'intimité. La salle, elle aussi, joue cette partition de la proximité. Ses dimensions idéales, faites pour ce genre de musique, permettent au public d'entrer à chaud dans le débat. En l'occurrence, une lecture axée sur la simplicité, la sensibilité et la juste beauté des choses et des humains.
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Un sol de sable brun, une cage de scène totalement dénudée aux murs brossés de couches diverses d'anciennes peintures, deux amphores, et des éclairages frisants. On se croirait dans le monde de Peter Brook et de sa Carmen dépouillée. Anthony Ward a signé les splendides décors et costumes d'un univers à mi-chemin entre Orient et Occident. Tout commence, comme à l'origine du monde, avec l'apparition d'un homme nu. Rachid Ben Abdeslam chante et joue subtilement sa fragilité d'humain. Une Fortune aux yeux bandés, un Temps sur béquilles et un Amour tatoué viennent lui rappeler sa triste condition d'homme soumis à leurs volontés. Quelques voiles agitées, un tapis volant doré et des fils de lumières viendront enrichir ce dénuement magnifique, et, dans cet espace minimal, Adrian Noble se paye le luxe de faire virevolter son monde autour du désir et de la joie. La jeunesse et la beauté des personnages ne font que surrenchérir à cette fraîcheur de ton. Et si les nouveaux chanteurs, qui ont travaillé en académie sur le spectacle, ne possèdent pas toujours l'assurance de leurs aînés, les voix remarquables de Stéphanie d'Oustrac (Fortune et somptueuse Melanto) ou de Gaëlle Méchaly (Amour et Minerve éblouissante) sont loin d'être inconnues. Ni celle de Joseph Cornwell, Eumerte à l'incroyable abattage scénique. La Penelope de Marijana Mijanovic a elle aussi déjà du métier. Son mezzo, qui tire vers l'alto, la rend troublante d'androgynie et d'intériorité. Quant à la voix un rien brute du Croate Kresimir Spicer, elle confère à Ulysse une touchante franchise doublée d'une étonnante intensité d'interprétation. Ces talents choisis par William Christie ont de la carrure et un avenir que personne ne saurait leur discuter. Et l'hypersensibilité qui domine cette production exemplaire, dont on pense qu'elle va prendre les routes, restera gravée dans la mémoire des amoureux de pure beauté.
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Festival d'Aix - Théâtre du jeu de Paume, Aix-en-Provence Le 10/07/2000 Sylvie BONIER |
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