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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Nouvelle production de Faust de Gounod dans une mise en scène de Jean-Louis Martinoty et sous la direction d’Alain Altinoglu à l’Opéra de Paris.
Rien…
Émergeant de semaines de troubles conclus par le départ d’Alain Lombard et une première en version de concert, le nouveau Faust de l’Opéra de Paris a fait un flop monumental en offrant une soirée d’un ennui profond à un public qui n’a même pas cru bon de lui offrir un de ces scandales dont l’Opéra raffole, et s’est surtout refusé aux rappels après les premiers saluts.
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On l’attendait, ce Faust appelé à remplacer celui, mythique désormais, que Rolf Liebermann avait offert à Paris en 1975 en en confiant la production à Jorge Lavelli, Max Bignens, Michel Plasson et à une équipe vocale de tout premier plan. Un Faust qui avait connu dès sa seconde représentation la même mésaventure que la première de l’actuel : être joué sans décors. Quand Nicolaï Gedda avait lancé son « Rien ! » initial, la salle entière s’était esclaffée.
Jeudi soir, c’est lorsqu’on a guillotiné Marguerite et qu’aussitôt sa tête martyrisée a été mise en châsse et portée en procession que les rires ont fusé, montrant que la dramaturgie du metteur en scène soit échappait à son propos, soit le concluait de manière si bête qu’on ne savait plus distinguer ce qui était là le plus détestable.
De fait, Jean-Louis Martinoty n’a pas su échapper à l’ombre portée de son prédécesseur sur l’histoire de l’Opéra : retrouvant l’idée du décor unique, vaste bibliothèque semi-circulaire aux piliers de fer qu’on se plaît à renverser quelque peu – c’est mode –, avec Christ monumental suspendu aux cintres omniprésent, qui mollement renversé deviendra chemin vers le Banquet des reines et courtisanes, défilé d’éclopés de retour des combats, nombre d’images évoquent, invoquent même, mais en bien moins réussi ce que le metteur en scène argentin a changé définitivement dans notre rapport à la naïveté du Faust de Gounod, en tant que symbole parfait de l’opéra bourgeois du XIXe siècle français.
Las, Martinoty, qu’on a connu autrement subtil et inspiré, s’est cru obligé d’en rajouter dans la satire assénée et le kitsch indigeste. Tout y passe, les grandes écoles, le clergé, l’armée – la Légion, carrément – mais aussi de pauvres lavandières, d’impossibles fêtards. Attristants, le concours de Miss impudiques, le meurtre de l’enfant, le lit en guise de maison, le jardin en paysage de boule de verre, la guillotine finale, lourds symboles de la France qui punit, de la Foi qui ne pardonne pas, du Peuple qui croit…
Aux accumulations de références mâtinées de maladresses scéniques, on eût préféré une capacité à traiter le mouvement choral, une direction d’acteur crédible, alors que, sans le second degré, la légèreté de touche qui en aurait fait une leçon d’élégance et de doigté, le résultat devient simplement navrant.
Le Faust de Lavelli avait fait choc par sa nouveauté (encore actuelle à sa dernière reprise en 2003) et exalté la nature de chef-d’œuvre impérissable de l’ouvrage : on n’oubliera jamais l’émotion irradiante de son image finale, alors qu’ici, pour le même instant, la projection du mot Rien exprime sans doute la détestation du metteur en scène pour son sujet, qui semble condamner l’œuvre au purgatoire, sinon à l’enfer de l’oubli, tant elle paraît ce soir sans intérêt.
Un traitement qui rejoint dans le dénigrement ou la vacuité trop de créations ratées d’un Opéra de Paris qui va inscrire à son répertoire pour très longtemps un spectacle de plus au déjà -vu éculé, irritant de platitude et de bêtise, et irradiant l’ennui.
Car, problème majeur, la proposition musicale déjà plombée par son environnement ne décolle pas. Les solistes, à qui on ne pourra rien reprocher quant à leurs qualités musicales, semblent abandonnés à eux-mêmes, et n’entrent jamais dans le vif de la nécessaire conviction, comme convaincus de l’échec prévisible.
Roberto Alagna domine certes, et la distribution, et le rôle encore, mais on l’a entendu plus investi, autrement plus solaire : il est ici paresseux, prudent aussi, moins à l’aise dans l’aigu que naguère. Inva Mula minaude, sauf au final, mais ne parvient jamais à intéresser, à éblouir, et pas même à émouvoir. Paul Gay a de la classe sinon de la profondeur, c’est sans doute lui qui tire le mieux son épingle du jeu, jouant de sa présence personnelle pour camper un personnage possible, sinon magistral.
Tassis Christoyannis, au beau timbre soyeux, se contente de chanter, Angélique Noldus attend de libérer sa voix, Marie-Ange Todorovitch assure sans se poser de questions, chacun attendant un soutien, un élan, que le metteur en scène a défait, et que le chef n’a pas su faire renaître.
Alain Altinoglu pare au plus pressé, essayant de sauver le peu de cohésion qui reste, et dirige trop lentement, et sans supplément d’âme, un orchestre qui distille l’indifférence malgré de réelles beautés, et des chœurs qu’on a entendus cohérents. À tant de platitude, il y a urgence à donner chair, tension et séduction.
Londres cependant, et jusqu’au 10 octobre, affiche la reprise du formidable Faust de David McVicar, avec Angela Gheorghiu, Vittorio Grigolo, René Pape, Dmitri Hvorotovsky et Evelino Pidò. Un spectacle all stars, qui justifie à lui seul qu’on prenne l’Eurostar pour un soir, et qu’on se damne pour trouver un siège. Paris ne risque vraiment pas qu’un Anglais prenne le chemin inverse.
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