|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
|
Reprise d’Ariane à Naxos de Strauss dans la mise en scène de Claus Guth, sous la direction de Peter Schneider à l’Opéra de Zurich.
Ariane aux forceps
Soirée bien assommante que cette ultime représentation de la reprise d’Ariane à Naxos selon Claus Guth à Zurich. Si la mise en scène parvient encore à capter l’attention tout du long, la musique croule sous la plus suffocante routine, chacun cherchant à chanter plus fort que son voisin, sous la baguette de plomb du vétéran Peter Schneider.
|
|
Complicité artistique
Sombre Volga
Hommage au réalisme poétique
[ Tous les concerts ]
|
On dit souvent qu’une maison d’opéra se jauge à la qualité de ses reprises. Gageons que la prestation musicale de cette Ariane reste l’exception dans un théâtre d’aussi excellente réputation que l’Opéra de Zurich. Car si la production de Claus Guth demeure stimulante d’un bout à l’autre, la partie musicale du spectacle sombre dans une exécution aux forceps.
En grande partie responsable d’un plateau déboutonné, Peter Schneider offre la plus désespérante routine, menant un prologue plombé, où chaque accord tombe mollement, sans nerf, sans la vivacité théâtrale amoureusement réglée par l’écriture en récitatifs fusant comme des gerbes d’étincelles du compositeur.
Pour quelques jolies envolées, combien de pages bâtonnées sans grâce, penaudes et métronomiques ? Et si les contours de l’opéra se prêtent mieux au geste étale du vieux maestro, quel manque de canalisation, de soutien autre que par la seule épaisseur du son sous un plateau qui semble chanter pour le Stade de France !
Partant, exit l’art de la conversion en musique, car hormis Bacchus, point de salut dans cette distribution : seul Michael König s’affranchit d’un phrasé wagnérien hors de propos. Le ténor, à la belle ligne, aux inflexions volontiers allégées, reste le seul à insuffler du style à ce qui reste paradoxalement le rôle le plus ingrat de l’ouvrage.
On n’en dira pas tant d’une Nina Stemme constamment en force, ouvrant un four démesuré comme pour affronter Brünnhilde. Cette Ariane monolithique, vannes au grand large, voyelles laminées et émission de panzer, n’est plus que l’ombre de celle qui avait sauvé la production Loy à Genève. La radiance, le legato, la distinction fragile, tout semble englouti dans un son mastoc. L’heure paraît venue de s’offrir une cure de Mozart.
Guère plus séduisante, la Zerbinette d’Elena Mosuc ne brille que par la facilité de ses cocottes tant la soprano présente un allemand défaillant et un timbre induré, criard, une voix qui bouge, à coups de respirations bruyantes, et une totale absence de délicatesse qui rendent son air interminable et ruinent la plus belle phrase du rôle – ein Augenblick ist wenig.
Problème inverse pour le Compositeur en tête d’épingle de Michelle Breedt, dont la voix minuscule est poussée dans ses derniers retranchements à chaque élan de lyrisme, avec de l’air sur le troisième registre, en dépit d’un soin rare en l’occurrence à privilégier le beau son sur le gros son.
Car un quatuor d’Italiens dopés aux amphétamines là où la partition indique son lot de petites touches, des Nymphes au taquet, un Maître à danser brillant par son seul aigu sont à peine rachetés par le Maître de musique somptueusement articulé de Martin Gantner et par le Haushofmeister idéal, entre cynisme et tranquille autorité, d’Alexander Pereira, ancien patron de la maison parti à la conquête de Salzbourg.
Le vrai attrait de cette reprise reste donc la mise en scène de Claus Guth, qui n’a pas pris une ride en six ans, et transpose l’action entière dans les affres du milieu artistique. Devant un simple rideau de scène blanc, qui permet entrées et sorties avec la même agitation que dans d’authentiques coulisses, on devine l’inclination de la Primadonna pour le talentueux Compositeur, qui lui s’imagine déjà au bras de Zerbinette mais n’en mettra pas moins fin à ses jours devant la situation intenable imposée par un mécène imbécile.
L’opéra ne sera alors que le long dénouement de ces préparatifs tragiques, dans le décor de la brasserie Kronenhalle de Zurich, chaleureusement applaudi par le public local. La toujours Primadonna, hantée par son défunt amant, noie son chagrin dans l’alcool et tente d’occuper les phases de sa vie hors scène comme elle peut : devant des nymphes serveuses aux petits soins, aux côtés d’une Zerbinette pathétique narrant son existence de simple objet sexuel, dans les bras d’un Bacchus en double du Compositeur, avant d’avaler une dose fatale de barbituriques.
Aucun lieto fine dans cette approche aussi pessimiste que passionnante, qui se paie une mise en abyme supplémentaire au tomber de rideau, comme si la tranche de vie exposée dans le restaurant n’était elle-même qu’une représentation. Dans ce décor familier, rassurant, éclairé à la perfection – les passages de nuit à jour en lumière d’intérieur jamais surexposée –, on se laisse embarquer par les digressions brillantes d’un metteur en scène décidément jamais à court.
| | |
|
Opernhaus, ZĂĽrich Le 23/02/2012 Yannick MILLON |
| Reprise d’Ariane à Naxos de Strauss dans la mise en scène de Claus Guth, sous la direction de Peter Schneider à l’Opéra de Zurich. | Richard Strauss (1864-1949)
Ariadne aux Naxos, opéra en un acte précédé d’un prologue
Version viennoise de 1916
Livret de Hugo von Hofmannsthal
Orchester der Oper ZĂĽrich
direction : Peter Schneider
mise en scène : Claus Guth
décors & costumes : Christian Schmidt
Ă©clairages : JĂĽrgen Hoffmann
Avec :
Alexander Pereira (Der Haushofmeister), Martin Gantner (Ein Musiklehrer), Michelle Breedt (Der Komponist), Michael König (Der Tenor / Bacchus), Nina Stemme (Primadonna / Ariadne), Elena Mosuc (Zerbinetta), Krešimir Stražanac (Harlekin), Martin Zysset (Scaramuccio), Reinhard Mayr (Truffaldin), Reinaldo Macias (Brighella), Eva Liebau (Najade), Irène Friedli (Dryade), Sandra Trattnigg (Echo), Patrick Vogel (Ein Offizier), Michael Laurenz (Ein Tanzmeister), Jonathan Sells (Ein Perückenmacher), David Steffens (Ein Lakai). | |
| |
| | |
|