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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Nouvelle production des Noces de Figaro de Mozart dans une mise en scène de Richard Brunel et sous la direction de Jérémie Rhorer au festival d’Aix-en-Provence 2012.
Aix 2012 (2) :
Ensemble, c’est tout
Kate Lindsey (Cherubino)
Pour la nouvelle production des Noces de Figaro du festival d’Aix-en-Provence, Jérémie Rhorer retrouve Richard Brunel, avec qui il avait signé une lecture décapante et cauchemardesque de l’Infedeltà delusa de Haydn dans la cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède en 2008. En parfaite osmose, ils exaltent les vertus d’ensemble du premier volet de la trilogie de Mozart et Da Ponte.
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Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence
Le 10/07/2012
Mehdi MAHDAVI
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Complicité artistique
Sombre Volga
Hommage au réalisme poétique
[ Tous les concerts ]
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Avec un art de la suspension poétique poussé jusqu’à l’absurde, les Noces de Figaro selon Christoph Marthaler désamorçaient les effets les plus attendus pour mieux les détourner, entre bureau d’état civil et boutique de robes de mariée. Dans la demeure d’un grand avocat de province et d’aujourd’hui – le smartphone de Bartolo faisant foi –, « qui sert à la fois à vivre, à travailler, à juger, à marier », Richard Brunel ne va certes pas aussi loin, moins iconoclaste, et surtout moins rêveur.
Le texte, rien que le texte, quitte à tirer certains fils du livret aux dépens d’autres, tissés par la musique peut-être, mais non moins essentiels – était-il bien utile, aussi, de faire jouer la scène du procès pendant que la Comtesse chante Dove sono, comme si Beaumarchais voulait soudain reprendre à Mozart et da Ponte ce qui lui appartenait ? Voilà qui, en apparence, suffirait à résumer une transposition efficace, sans incongruité, mais qui pourrait lasser à force de grisaille – pas une couleur dans les décors de Chantal Thomas, pas davantage dans les costumes d’Axel Aust –, si ne l’animait une formidable direction d’acteurs.
D’abord Feydeau, ensuite Marivaux, et enfin Tchekhov : Brunel se tient à ses références. Les mauvaises langues diront que ce trio ne laisse que peu de place à Mozart, et ils auront tort. Car enfin, quel rythme – du moins jusqu’au IV, qui comme neuf fois sur dix s’essouffle, et si tard dans la nuit ne supporte plus le gris, même poétisé par l’ombre de l’arbre solitaire de l’Archevêché – dans cette folle succession de décors, qui soudain révèle ce que vous avez toujours voulu savoir sur les Noces sans jamais oser le demander – que fait Suzanne enfermée dans le cabinet, par exemple ?
Déjà vu ? Peut-être. Mais le premier volet de la trilogie de Mozart et Da Ponte laisse moins de place que Don Giovanni et Così fan tutte aux spéculations les plus insensées – et à leur traduction scénique parfois prégnante –, car l’esprit y jaillit de la lettre. Qui plus est lorsque l’orchestre exprime ces arrière-plans oniriques qui soudain transcendent la convention des situations aussi fugacement que ce geste, ces échanges de regards si minutieusement réglés qu’ils se remarquent à peine pour peu qu’on n’y prenne garde. C’est qu’il se passe tant de choses à l’autre bout du plateau – là est le défi des Noces de Figaro, que Richard Brunel la plupart du temps relève, en osmose avec Jérémie Rhorer.
Qu’importe que la fosse ait tendance à disperser les différents pupitres du Cercle de l’Harmonie, puisque la substance mozartienne est là , d’évidence, portée par ce bras, cet œil attentifs à la moindre inflexion, et par lesquels la vie se propage en un flux continu, émaillé de détails infinitésimaux, qu’on dirait inaudibles à l’oreille nue, sans ces ruptures, ces parenthèses dont certains usent et abusent pour prouver qu’eux seuls les ont vus, entendus. Mystère de la pulsation, et de la respiration, dont le chef français possède la clé.
Une telle lecture, où chaque individu donc est partie d’un tout, suppose une équipe absolument soudée. Certains, la plupart même, sont meilleurs acteurs que chanteurs, du moins dans cette acoustique impitoyable. Ainsi Paulo Szot, qui pourtant mord dans le texte du Comte et varie ses accents, peut paraître d’un bloc, et comme gêné aux entournures par l’impact sonore limité d’un timbre creux. À l’inverse, le baryton-basse légèrement enflé de Kyle Ketelsen se contente de projeter son Figaro loin devant, sans rien dans le bagout qui le distingue vraiment de ses prédécesseurs.
Moins spontanée que lors de sa prise de rôle à l’Opéra de Nancy, la Suzanne de Patricia Petibon réchauffe rapidement ses acidités, et tient sa ligne malgré certains sons trop fixes pour n’être que des coquetteries pseudo-stylistiques. Si elle parvient à discipliner son instrument dans les ensembles, Malin Byström demeure une Comtesse pâteuse d’émission et embarrassée par la nuance, tandis que Kate Lindsey serait une merveille d’androgynie lumineuse et concentrée si son Chérubin passait un peu mieux la rampe.
Mieux que le Bartolo usé jusqu’à la corde de Mario Luperi, ou même le Basilio à la sécheresse cauteleuse de John Graham-Hall, Mari Eriksmoen, Barbarina débordante de fraîcheur, et surtout Anna Maria Panzarella, déchaînée en Marcellina vamp et vipérine, complètent une distribution où priment décidément les vertus d’ensemble – mais ne sont-ce pas finalement les seules qui vaillent dans les Noces de Figaro ?
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Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence Le 10/07/2012 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production des Noces de Figaro de Mozart dans une mise en scène de Richard Brunel et sous la direction de Jérémie Rhorer au festival d’Aix-en-Provence 2012. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Le Nozze di Figaro, opera buffa en quatre actes (1786)
Livret de Lorenzo da Ponte d’après la Folle journée, ou le Mariage de Figaro de Beaumarchais
Chœur des Arts Florissants
Le Cercle de l’Harmonie
direction : Jérémie Rhorer
mise en scène : Richard Brunel
dramaturgie : Catherine Ailloud-Nicolas
décors : Chantal Thomas
costumes : Axel Aust
Ă©clairages : Dominique Borrini
continuo : Paolo Zanzu
Avec :
Paulo Szot (Il Conte di Almaviva), Malin Byström (La Contessa di Almaviva), Kyle Ketelsen (Figaro), Patricia Petibon (Susanna), Kate Lindsey (Cherubino), Anna Maria Panzarella (Marcellina), Mario Luperi (Bartolo), John Graham-Hall (Don Basilio), Emmanuele Giannino (Don Curzio), René Schirrer (Antonio), Mari Eriksmoen (Barbarina). | |
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