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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Reprise du Rake’s Progress de Stravinski mis en scène par Olivier Py, sous la direction de Jeffrey Tate à l’Opéra de Paris.
Le débauché chez Mondrian
Accueil mitigé pour une Carrière du libertin très différente des dernières réussites françaises en la matière (André Engel, Alfredo Arias) qui misaient sur des dispositifs légers et une esthétique hollywoodienne : place à la noirceur et au stupre, au sentimentalisme et au pathos, que sert inégalement une équipe vocale jeune et contrastée.
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La soirée commence mal : relégués en fond de scène sur une haute estrade (un théâtre de marionnettes ?), perdus dans le grand vaisseau du Palais Garnier, peu adapté à une partition prioritairement chambriste, les chanteurs sont inaudibles. Le premier des neuf tableaux imaginés par Stravinski et son librettiste Auden n’a d’ailleurs guère inspiré Olivier Py, qui n’a manifestement pas envie d’illustrer le bonheur.
Les défauts de sa lecture mondrianesque, tout en noir et blanc glacés, ponctuée, de loin en loin, par les trois couleurs primaires des néons, y apparaissent crûment : froideur, distance, déterminisme, refus de l’anecdote. Mais, dès la scène du bordel (l’une des plus réussies, avec celle du cimetière), cet univers expressionniste, peuplé de nains tristes, d’esclaves androgynes, d’animaux synthétiques, de sodomites et de fracs à paillettes, exerce sa fascination délétère.
Py le mystique accentue la dimension faustienne de l’ouvrage, jusqu’à citer sa propre Damnation et faire d’Anne Trulove une nouvelle Marguerite, madone enceinte puis mère rédemptrice, nimbée d’une lumière à la Vermeer – superbes éclairages de Bertrand Killy.
Grâce à de savants cadrages (et à ce jeu, chez lui un peu systématique, d’échafaudages métalliques, de mouvants praticables), à une direction d’acteurs chiche mais millimétrée, le dramaturge, tout en restant au plus près de la partition, compose un fascinant chemin de croix qui, s’il ne convainc pas toujours, imprègne durablement l’imagination.
À tant de noirceur, Jeffrey Tate oppose une lecture lyrique plutôt qu’incisive, atmosphérique plus que contrastée : à l’encontre d’une certaine tradition stravinskienne (allant du compositeur et de Robert Craft jusqu’à John Eliot Gardiner), le chef anglais arase drame et rythmes mais nimbe d’émotion les passages contemplatifs.
Cette vision se voit magnifiquement secondée par le meilleur élément de la distribution : Charles Castronovo, qui n’hésite pas à déployer en Tom toutes les saines vertus de sa technique belcantiste (déjà appréciées dans son Alfredo aixois de 2011), jusqu’au trille et au falsetto poignants qui couronnent sa mort.
Le timbre, plus corsé que celui de son prédécesseur dans la même production (Toby Spence), peut d’abord surprendre mais, sans compromettre la projection du texte ni la précision ornementale, confère au ténor une réelle puissance émotive – son Love, too frequently betrayed ferait pleurer les pierres.
Le reste de la distribution ne plane hélas pas sur ces cimes. Passons sur le Trulove trémulant de Scott Wilde, la voix pleine de trous de Jane Henschel (une Baba rescapée de 2008 qui, scéniquement, déménage), le Sellem sonore, poli, mais guère amusant de Kim Begley (rendez-nous Hugues Cuénod ou, à défaut, Steven Cole !).
En Nick Shadow, Gidon Saks semble chanter avec une patate chaude dans la bouche et fait d’abord beaucoup de (vilain) son : mais l’acteur est si convaincant, la voix si percutante, qu’on finit par se laisser séduire par cet ogre généreux.
On l’a dit, au premier tableau, Ekaterina Siurina (Anne) est inaudible : l’émission coincée dans le nez, plate, s’épanouira certes au fil de la soirée, faisant valoir une jolie ligne et de beaux aigus, mais le texte passe à la trappe et, ce qui est dommage dans un tel rôle.
Un chœur magnifique d’engagement comme d’expression et un orchestre à demi concerné complètent le casting et l’impression déroutante laissée par la soirée, où de réelles fulgurances auront côtoyé les égarements.
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