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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Première au Grand Théâtre de Genève de la Traviata de Verdi mise en scène par David McVicar, sous la direction de Baldo Podic.
Le tombeau de Violetta
Après des Vêpres siciliennes horrifiques et un envoûtant Macbeth confiés à l’imprévisible Christof Loy les saisons passées, le Grand Théâtre de Genève a fait le choix raisonnable de David McVicar pour la Traviata du bicentenaire de la naissance de Verdi. Entre une mise en scène réduite à son décor et une direction apathique, la Violetta de Maria Alejandres lutte pour sa survie.
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Capable de torpiller les conventions, sans pour autant bouleverser les attentes esthétiques de la frange la plus conservatrice du public d’opéra, David McVicar a pu passer un temps pour un enfant terrible du théâtre lyrique. Car son artisanat, certes rien moins que visionnaire, partage généralement avec les meilleures productions en costumes de la télévision britannique un punch où d’aucuns ont cru déceler de l’irrévérence, sinon de la provocation.
Victime de ce talent, l’Écossais est devenu la coqueluche des plus grandes maisons, où il met désormais en scène à la chaîne, à l’instar d’un Robert Carsen. Comme éreintée par le système, son imagination n’est même plus à l’abri du zeffirellisme, cette surcharge décorative à laquelle sa première manière – celle, décapante, de son Agrippina de Haendel – semblait pour le moins allergique. Sans doute le comble de cette dérive a-t-il été atteint dans ses Troyens londoniens de l’été dernier, où l’épopée berliozienne ployait sous les poids d’un cheval financé du premier boulon à la dernière vis par l’horloger Rolex.
Mais la déception, l’indifférence même que nous inspire cette Traviata reprise au Grand Théâtre de Genève près de cinq ans après sa création au Scottish Opera, sont-elles seulement imputables à David McVicar ? Réalisée par un assistant, en l’occurrence Bruno Ravella, la mise en scène paraît en effet presque constamment désertée par cet élan irrépressible qu’insuffle d’ordinaire la direction d’acteurs au cordeau de l’Écossais.
Reste le décor de Tanya McCallin, savamment éclairé par Jennifer Tipton pour évoquer chaque lieu sans vraiment les différencier. L’élégant catafalque pseudo-viscontien qui drape de noir l’agonie de Violetta se révèle dès lors comme la conséquence de l’inévitable flashforward, certes induit par la reprise du thème du prélude au troisième acte, qui ouvre ici l’opéra par l’inventaire des biens de la défunte.
Mais dans la fosse, la direction de Baldo Podic n’est pas même macabre, mise en place simplement anonyme, pour ne pas dire atone, et définitivement impuissante à tirer l’Orchestre de la Suisse romande de la grisaille qui décidément le caractérise.
Dans ce désert d’intentions musicales et théâtrales, Maria Alejandres a bien du mal à se frayer un chemin qui ne la mette constamment en péril. Par le malaise qu’elle suscite, la prestation de la jeune soprano pose en vérité la question de la responsabilité de ceux qui la surexposent dans un rôle qu’elle a certes déjà tenu au Palacio de Bellas Artes de Mexico en mars 2012, mais qui la dépasse vocalement et l’épuise nerveusement.
Et si la cuisine interne du Grand Théâtre de Genève ne regarde pas les spectateurs – encore que –, il est permis de s’interroger sur les raisons qui ont vu Myrtò Papatanasiu et Inga Kalna, annoncées dans le programme de saison, disparaître de l’affiche au profit, presque in extremis, d’Agneta Eichenholz, Maria Alejandres et Patrizia Ciofi, l’indisposition de la Suédoise ayant précipité sa consœur Mexicaine sous l’impitoyable feu des projecteurs de la première.
Ravissante et plus que prometteuse Juliette de Gounod à en croire ceux qui l’ont découverte dans cet emploi qui lui a déjà ouvert les portes de Covent Garden et de la Scala, la soprano entame ses ressources dès Sempre libera pour donner du corps à un timbre joliment fruité, avant de s’égarer dans un vérisme au petit pied.
Telle une adolescente jouant face à un miroir le rôle de ses rêves, cette Traviata minaude, pleurniche au point d’oublier qu’elle est aussi censée chanter, juste qui plus est, et enfin s’effondre dans un Addio del passato qui, par-delà une sincérité, une vérité de sentiment qui ne peuvent laisser insensible, tourne au suicide vocal.
De prime abord, Leonardo Capalbo ne donne pas l’impression de se ménager davantage. Et lorsqu’avant sa cabalette, il dévoile son postérieur en quittant le lit de son amante, la salle hésite entre soupir d’aise et cri d’effroi. Mais bien que son Alfredo ne puisse se départir d’une certaine tendance à la caricature du ténor italien larmoyant, sa fougue est suffisamment maîtrisée pour ne pas compromettre de belles qualités vocales, du moins jusqu’à l’approche de l’aigu.
Puisque les seconds rôles vont de l’acceptable – l’Annina d’Elisa Cenni – à l’exécrable – la Flora physiquement parfaite mais vocalement défaite de Marie-Thérèse Keller –, Giorgio Germont est comme souvent le seul élément incontestable de la distribution. Car Tassis Christoyannis, sauveteur des repoussantes Vêpres siciliennes selon Christof Loy sur la même scène, possède une qualité devenue rare à l’opéra : il sait chanter. Au-delà des simples vertus techniques s’entend. Tenir une phrase, nourrir le legato, colorer subtilement le mot, en musicien toujours, mieux, en artiste.
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Grand Théâtre, Genève Le 28/01/2013 Mehdi MAHDAVI |
| Première au Grand Théâtre de Genève de la Traviata de Verdi mise en scène par David McVicar, sous la direction de Baldo Podic. | Giuseppe Verdi (1813-1901)
La Traviata, opéra en trois actes (1853)
Livret de Francesco Maria Piave d’après la Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
direction : Baldo Podic
mise en scène : David McVicar, réalisée par Bruno Ravella
décors et costumes : Tanya McCallin
Ă©clairages : Jennifer Tipton, repris par Ian Jones
chorégraphie : Andrew George, reprise par Colm Seery
Avec :
Maria Alejandres (Violetta Valéry), Leonardo Capalbo (Alfredo Germont), Tassis Christoyannis (Giorgio Germont), Marie-Thérèse Keller (Flora Bervoix), Elisa Cenni (Annina), Fabrine Farina (Gastone, visconte de Letorières), Ludwig Grabmeier (Barone Douphol), Khachik Matevoysian (Marchese d’Obigny), Daniel Djambazian (Dottor Grenvil), Terige Sirolli (Giuseppe). | |
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