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CRITIQUES DE CONCERTS 01 novembre 2024

Nouvelle production de Dialogues des Carmélites de Poulenc dans une mise en scène de Christophe Honoré et sous la direction de Kazushi Ono à l’Opéra national de Lyon.

On ne meurt pas chacun pour soi
© Jean-Louis Fernandez

Coup de maître que cette première mise en scène lyrique pour le réalisateur Christophe Honoré, qui signe des Dialogues des Carmélites actualisés exaltant la notion de perte d’individualité de la claustration et de sacrifice au profit d’un idéal supérieur. Si Kazushi Ono ne trouve pas spontanément le ton juste dans la fosse, le plateau féminin offre un bel engagement.
 

Opéra national, Lyon
Le 14/10/2013
Yannick MILLON
 



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  • RentrĂ©e prometteuse pour l’OpĂ©ra de Lyon, qui a eu la main heureuse en confiant Dialogues des CarmĂ©lites Ă  Christophe HonorĂ©, dont rien ne laisse transparaĂ®tre qu’il signe sa toute première mise en scène d’opĂ©ra. Presque rien si l’on exclut la prise de parole liminaire d’une choriste, rideau levĂ©, chargĂ©e de lire, avec micro et accent anglo-saxon, un texte de Bernanos sur la jeunesse qu’il eĂ»t Ă©tĂ© plus adroit de faire dĂ©filer sur le rideau.

    Car on ne peut pour le reste qu’approuver une mise en scène tout en justesse des intentions, en finesse des trouvailles théâtrales, en précision dans la direction d’acteurs des religieuses, jamais outrancière ou caricaturale, contrepoint constamment subtil à l’action principale.

    Dans un visuel à la Marthaler, blouses à carreaux du tournant des années 1980 et décor de bois façon squat au dernier étage d’un immeuble laissant entrevoir la place de la République de la capitale, Honoré souligne à chaque instant la prépondérance de la communauté, qui unit ces femmes ayant fait don de leur vie à Dieu au sacrifice de toute intimité, de toute individualité.

    Les contraintes souvent oubliĂ©es de la claustration, surtout dans un cadre clandestin, sont ici illustrĂ©es sans concessions, chaque scène se dĂ©roulant en prĂ©sence des sĹ“urs, y compris lorsque Blanche reçoit son frère au parloir, et jusqu’à l’agonie publique de la Première prieure. Plus de sentiment, d’état d’âme qui Ă©chappe Ă  la communautĂ©, aux regards souvent compatissants, parfois curieux, rarement jaloux de ces compagnes de « mort au monde Â».

    Un petit chat gris merveilleusement sage, suivant la messe avec la même attention que les nonnes, focalise les accès de tendresse de ces femmes privées de sensualité, puis contraintes dans leur sortie forcée de la règle à porter les escarpins de la norme féminine à laquelle elles avaient tourné le dos.

    Très fidèle à l’esprit du livret et de la musique, Honoré a imaginé un Marquis de la Force maniaco-dépressif, noyant l’inconsolable chagrin de la mort de son épouse dans des injections de sédatifs et auprès de filles de joie, ainsi qu’un Docteur Javelinot collabo, hurlant avec les loups au point d’accompagner certaines religieuses dans leur défenestration.

    © Jean-Louis Fernandez

    Un retournement de veste, un nombrilisme dĂ©noncĂ© en parallèle par la transformation de l’inscription dĂ©jĂ  guère engageante « nous avons cru Ă  l’amour de Dieu pour nous Â», en « nous avons l’amour de nous Â», symbole d’un monde gangrĂ©nĂ© par l’égocentrisme, qui confesse au passage la presque impossible transposition de l’œuvre hors du contexte rĂ©volutionnaire : mĂŞme les sĹ“urs ne croient plus ici vraiment en Dieu.

    Dans la fosse, Kazushi Ono ne trouve qu’avec intermittence le ton si particulier de cette partition elliptique, constellée de silences, à trop chercher la grande ligne dans une lenteur excessive contre laquelle semblent lutter des chanteurs piaffant d’impatience. Plus à l’aise dans les mixtures de timbres grinçantes, le Japonais réussit toutefois sa montée en puissance après l’entracte, l’orchestre enfin débarrassé des approximations de ses cuivres.

    Ă€ l’exception de l’AumĂ´nier de LoĂŻc FĂ©lix, voix naturelle, diction limpide et belle aura de tendre prĂ©dicateur, les voix masculines s’avèrent très insuffisantes. Le Marquis de Laurent Alvaro, Ă  bout d’aigu, bute sur une voix-tronc, sans branches ni feuilles, sans passage ni rondeur. SĂ©bastien Guèze est un Chevalier hors-sujet, aux antipodes du « tĂ©nor mozartien Â» voulu par Poulenc, poussant sur une Ă©mission laryngĂ©e, en ouverture dĂ©mesurĂ©e des voyelles, comme pour chanter Guillaume Tell.

    La dureté, les stridences de la Madame Lidoine droite comme un i de Sophie Marin-Degor demandent un temps d’adaptation, surtout face à la Mère Marie rarement intelligible mais déjà très pète-sec d’Anaïk Morel. Et si la Constance de Sophie Devieilhe est un pur ravissement, timbre adamantin et bonté désintéressée, la radieuse Hélène Guilmette, dans la même lignée vocale, afficherait presque trop de santé pour la fragile Blanche, dont elle a pourtant les vrais élans de sincérité et la beauté des aigus.

    Quant à Sylvie Brunet-Grupposo, son incarnation de Madame de Croissy est d’une telle puissance dramatique que l’on finit par abdiquer face à cette diction incroyablement imprécise, à ces voyelles trafiquées, à cette émission chaotique qui sait aussi réserver de bouleversants pianissimi. Une mention particulière enfin pour les ensembles liturgiques, d’une pureté diaphane à convertir les plus réfractaires.




    Opéra national, Lyon
    Le 14/10/2013
    Yannick MILLON

    Nouvelle production de Dialogues des Carmélites de Poulenc dans une mise en scène de Christophe Honoré et sous la direction de Kazushi Ono à l’Opéra national de Lyon.
    Francis Poulenc (1899-1963)
    Dialogues des Carmélites, opéra en trois actes (1957)
    Livret d’après Georges Bernanos

    Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Lyon
    direction : Kazushi Ono
    mise en scène : Christophe Honoré
    décors : Alban Ho Van
    costumes : Thibault Vancraenenbroeck
    éclairages : Dominique Bruguière
    préparation des chœurs : Alan Woodbridge

    Avec :
    Laurent Alvaro (Le Marquis de la Force), Hélène Guilmette (Blanche de la Force), Sébastien Guèze (Le Chevalier de la Force), Loïc Félix (l’Aumônier du Carmel), Nabil Suliman (Le Geôlier), Sylvie Brunet-Grupposo (Madame de Croissy), Sophie Marin-Degor (Madame Lidoine), Anaïk Morel (Mère Marie de l’Incarnation), Sabine Devieilhe (Sœur Constance), Alexandra Guérinot (Mère Jeanne), Héloïse Mas (Sœur Mathilde), Sophie Calmel (Mère Gérald), Sylvie Malardenti (Sœur Claire), Sophie Lou (Sœur Antoine), Joanna Curelaru (Sœur Catherine), Marie-Eve Gouin (Sœur Félicité), Pei Min Yu (Sœur Gertrude), Pascale Obrecht (Sœur Alice), Sharona Applebaum (Sœur Valentine), Karine Motyka (Sœur Anne), Maki Nakanishi (Sœur Marthe), Marie-Pierre Jury (Sœur Saint Charles), Paolo Stupenengo (un officier), Rémy Mathieu (le Premier Commissaire), Dominique Beneforti (le Deuxième Commissaire), Kwang Soun Kim (Thierry), Jean-François Gay (Monsieur Javelinot).

     


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