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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Création française des Stigmatisés de Schreker dans une mise en scène de David Bösch et sous la direction d’Alejo Pérez dans le cadre du festival les Jardins mystérieux de l’Opéra de Lyon.
Jardins mystérieux (1) :
Avis de recherche
Ouverture en fanfare pour le festival de printemps de l’Opéra de Lyon, avec la première française, presque un siècle après la création, des Stigmatisés de Franz Schreker. Si l’on peut discuter d’une Carlotta stridente, d’une mise en scène parfois peu subtile ou d’une direction un rien univoque, on n’en reste pas moins cloué à son fauteuil pendant trois heures.
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Complicité artistique
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Grâce soit rendue à Serge Dorny, presque un siècle après la création de l’ouvrage, le 25 avril 1918 à Francfort, de permettre au spectateur français de voir enfin une production des Stigmatisés de Franz Schreker, ouvrage majeur du post-wagnérisme que les terres germaniques ont ressuscité depuis belle lurette, avec même un triomphe à Salzbourg il y a dix ans.
Malgré tout l’intérêt que l’on peut porter à Zemlinsky ou Korngold, pour ne citer que les plus célèbres compositeurs lyriques viennois du premier XXe siècle, on doit admettre que Die Gezeichneten est probablement l’ouvrage le plus passionnant entre la Femme sans ombre et Wozzeck, fort d’une musique aux moirures inouïes, à la sensualité trouble captivante de la première à la dernière note, et d’un livret en authentique chef-d’œuvre du genre.
Une intrigue commandée au départ par Zemlinsky à son collègue pour un opéra qu’il souhaitait écrire lui-même sur le thème de la laideur, avant de devoir se reporter sur le Nain car Schreker, pris d’une irrépressible fièvre créatrice, ne put in fine renoncer à en écrire la musique.
La mise en scène de David Bösch, déjà auteur du récent Simon Boccanegra moyennement convaincant in loco, souffre un peu des mêmes limites : surabondance d’idées dans l’actualisation, mouvements incessants sur scène avec une impression de manque de canalisation dans la direction d’acteurs, et manière d’enfoncer le clou par la vidéo fréquemment redondante avec la mise en scène.
Que nous importent en effet ces images de mains bleues virant à la radiographie osseuse, ces papillons illustrant la naissance du sentiment amoureux chez le monstre Alviano, ou ces fleurs bien kitsch n’apportant guère d’eau au moulin du metteur en scène. On préfèrera s’attarder sur le concept global de la production, l’insinuation omniprésente de la méfiance dans une cité où se multiplient les affiches d’avis de recherche suite à la disparition d’enfants.
La pantomime du III, traitant pourtant d’aspects en rien anodins comme la séduction pédophile, la maltraitance physique ou les parties fines SM, vire un peu au grotesque fellinien, à coups de drague infantile à renfort de sucreries, de pelotage conséquent des bourrelets de l’obèse épouse du Podestat, on en passe et des meilleures.
Tamare, juste assez beau gosse juste assez frimeur à quatre sous, mène son business de narcotrafiquant devant son père, tandis qu’Alviano évoque une espèce de Pierrot lunaire à tache de vin mi-pitoyable mi-enfantin, touchant dans sa fragilité et son inadaptation à un monde gangréné par la luxure et les exploits sexuels filmés au caméscope et partagés comme autant de trophées.
Tant de réalisme appuyé par une vidéo guère allusive nuit sans doute à une intrigue plus nébuleuse, plus vénéneuse et onirique, mais converge totalement avec la direction fulgurante d’Alejo Pérez, ne relâchant l’attention à aucun moment de ces trois heures de musique données sans coupures, toujours à l’affût de crescendi titanesques et d’une vie rythmique passionnante.
Une lecture toutefois assez univoque, ignorant une part des sortilèges et infinies subtilités d’un tapis orchestral tentaculaire auquel on peut infuser plus de tension sous-jacente et des alliages de timbres plus flatteurs, mais qui soulève des montagnes – les très courts épisodes choraux du III, d’un souffle phénoménal.
Très solide plateau par ailleurs, où l’on ne regrettera que la Carlotta mastoc et sans grâce de Magdalena Anna Hofmann, ultra engagée et qui se force à nuancer sa ligne au II mais recourt à la moindre occasion à une émission épaisse, vibrato fatigant et aigus stridents qui sont un repoussoir pour qui a entendu ne serait-ce qu’une fois les miracles de lumière fragile, d’une féminité absolue, d’Anne Schwanewilms.
Car le plateau masculin est d’excellente tenue, particulièrement le Podestà de Michael Eder, couleur typique de basse autrichienne façon Baron Ochs, le Duc Adorno charbonneux et mordant à la fois de Markus Marquardt, ainsi que le Tamare de Simon Neal, raide et trémulant dans la mi-voix mais éloquent à pleins poumons, et surtout l’Alviano de Charles Workman, comme toujours sans véritable aigu mais avec une franchise de timbre, une clarté d’émission, une sincérité touchantes et tout à fait en situation. On en redemande.
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Opéra national, Lyon Le 17/03/2015 Yannick MILLON |
| Création française des Stigmatisés de Schreker dans une mise en scène de David Bösch et sous la direction d’Alejo Pérez dans le cadre du festival les Jardins mystérieux de l’Opéra de Lyon. | Franz Schreker (1878-1934)
Die Gezeichneten, opéra en trois actes (1918)
Livret du compositeur
Studio, Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Lyon
direction : Alejo PĂ©rez
mise en scène : David Bösch
décors & costumes : Falko Herold
Ă©clairages : Michael Bauer
préparation des chœurs : Philip White
Avec :
Charles Workman (Alviano), Magdalena Anna Hofmann (Carlotta), Simon Neal (Tamare), Markus Marquardt (Duc Adorno / Capitaine de Justice), Michael Eder (Podestà Nardi), Aline Kostrewa (Martuccia), Jan Petryka (Pietro / un jeune homme), Jeff Martin (Guidobald), Robert Wörle (Menaldo), Falko Hönisch (Michelotto), James Martin (Gonsalvo), Piotr Micinski (Julian), Stephen Owen (Paolo), Caroline MacPhie (jeune fille), Marie Cognard (Ginevra Scotti), Didier Roussel (Sénateur), Kwang Soun Kim (Sénateur / serviteur), Paolo Stupenengo (Sénateur), Celia Roussel Barber (Alto), Karine Motyka (Mère), Alain Sobieski (Père), Sharon Applebaum, Joanna Curelaru (servantes), Hidefumi Narita (ténor solo). | |
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