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CRITIQUES DE CONCERTS |
31 octobre 2024 |
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Turangalîla-Symphonie de Messiaen par l’Orchestre Philharmonia sous la direction d’Esa-Pekka Salonen au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Un Messiaen assommant
Curieux sentiment d’insatisfaction et migraine assurée à l’issue de cette Turangalîla haute en décibels et en effets monoblocs, où la baguette de Salonen ne semble insuffler que fureur, bestialité et primitivisme à une partition qui demande aussi tendresse, contemplation et joie, à la tête d’un Philharmonia monochrome et tout en puissance.
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À force de ressortir systématiquement chagriné des exécutions en direct de la Turangalîla-Symphonie de Messiaen, on en viendrait à compter l’ouvrage parmi les plus périlleux du répertoire. Il n’est guère au final qu’Ingo Metzmacher et l’Orchestre national de France dans le même TCE pour nous avoir vraiment convaincu ces dernières années.
Car la conception du chef vient une fois encore buter contre la nature même de l’ouvrage, délicat mélange de délire ornithologique, de cosmogonie sonore en fusion et de contemplation teintée de mysticisme rattachée au triptyque de Tristan et Yseult, dont la Turangalîla est le second volet. Et si les amateurs de débauche de clusters assourdissants ont pu ressortir comblés, on ne peut s’empêcher, au bout de cette heure vingt de fortissimi assommants, de rester sur notre faim.
En raison d’abord de l’aspect monochrome de l’Orchestre Philharmonia, aux trompettes dans l’aigu dopées à on ne sait quelle substance, à la grosse caisse terrifiante (y compris lorsqu’elle anticipe son premier coup de massue censé couper court à l’effusion sonore liminaire de l’Introduction), se pliant avec une poigne impitoyable à la battue fracassante mais parfois imprécise de son directeur musical.
Scandinave de naissance, Esa-Pekka Salonen apparaît aujourd’hui comme un véritable Américain d’adoption, y compris dans sa manière de pousser la dynamique, d’asséner des pans de plâtre proches du bruit blanc. Outre la drôle d’impression d’entendre ici ou là du Ives ou n’importe quelle musique urbaine à tendance bruitiste, les nappes d’harmoniques devant donner le nécessaire sentiment de filiation avec la musique française sont totalement écrasées par le volume.
Pas une intervention des bois qui rappelle un tant soit peu l’univers debussyste, mais une fureur constante qui, par bribes, pourrait se rattacher à l’esprit païen du Sacre du printemps. Symptôme manifeste de cette approche forcenée, ce sont les courts passages de percussion façon Ionisation de Varèse qui convainquent le plus, mais aussi paradoxalement Développement de l’amour, selon nous partie la plus faible de l’ouvrage en raison de son abondance de redites, ici abordées façon collage et cravachées sans répit.
Tandis que l’on cherchera en vain une quelconque trace de douceur, de tendresse, voire d’Amour, dans un Jardin insomniaque, les yeux grands ouverts à compter les moutons avec une régularité butant sur la nature céleste d’un mouvement purement extatique. Tout comme on manquera de joie sincère dans les mouvements rapides, tellement forcés que l’ultime crescendo du Finale tombe à l’eau, reprise avortée de celui de la Joie du sang des étoiles, autrement tenu trente minutes auparavant.
Enfin, comment ne pas regretter que le clavier solo tienne du piano obbligato, souvent noyé dans la masse, simple timbre parmi les timbres, loin de tout rôle concertant dans cet océan sonore, flanqué de deux glockenspiels et un vibraphone dans son dos à l’avant-scène et pourtant en mal de synchronisation dans les avalanches de doubles-croches ? Ou comment annihiler la présence experte d’un Pierre-Laurent Aimard auquel on saura gré de n’avoir jamais fait claquer ses interventions dans un contexte aussi décomplexé.
Dans ces colonnes, une discographie comparée avait relégué la conception de Salonen, vieille de vingt ans, très loin du faîte des réussites de l’œuvre au disque. Cette exécution sur le vif, à laquelle on s’était pris à croire, aura confirmé que le Finlandais n’a toujours pas réussi à percer les arcanes de l’un des ouvrages symphoniques majeurs du siècle dernier.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 27/05/2015 Yannick MILLON |
| Turangalîla-Symphonie de Messiaen par l’Orchestre Philharmonia sous la direction d’Esa-Pekka Salonen au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Olivier Messiaen (1908-1992)
Turangalîla-Symphonie (1948)
Pierre-Laurent Aimard, piano
Valérie Hartmann-Claverie, ondes Martenot
Philharmonia Orchestra
direction : Esa-Pekka Salonen | |
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