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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Nouvelle production des Noces de Figaro de Mozart dans une mise en scène de Sven-Eric Bechtolf et sous la direction de Dan Ettinger au festival de Salzbourg 2015.
Salzbourg 2015 (1) :
Les murs ont des oreilles
Ultime volet de la trilogie Mozart-Da Ponte de Sven-Eric Bechtolf, ces Noces de Figaro très réussies dans leur simplicité achèvent avec modestie un ensemble d’une grande qualité. Le sens de la scène, la distribution solide et une direction soignée aboutissent à une référence incontestable que les amateurs de grand frisson dramatique pourront sans doute trouver trop littérale.
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Dès l’ouverture de rideau, le ton est donné : cette Folle Journée se déroulera dans une folle maison pleine de domestiques inspirée de la série Downton Abbey (citation du générique au début du III), dont la coupe permet de juxtaposer plusieurs actions, d’occuper la dramaturgie des airs, de tuiler les actes, de rendre les espaces signifiants – Dove sono à la table des cuisines, Vedrò à la cave, le IV dans la serre.
Plus équivoque que les scènes de marivaudage, d’une redoutable efficacité – Chérubin caché, interrogatoire de Figaro –, Non più andrai, chanté pour soi-même par un Figaro prêt à faire une bêtise avec son revolver, voit Basilio se rouler par terre pour retenir au château Chérubin dont il est désespérément épris.
Sous les regards espions et les oreilles indiscrètes de tous, chacun s’adonne à sa passion sans la moindre réserve : Marcellina fouille sans vergogne la chambre de Susanna, laquelle, repiquant à sa couronne les fleurs d’un bouquet nuptial massacré au sécateur par Figaro dans sa rage, s’attendrit un instant dans l’attente du Comte, mari brutal d’une Comtesse dont Chérubin dessine des nus en marge de sa Canzonetta, lui-même objet du désir de Basilio.
Direction d’acteurs précise et lecture rigoureuse du livret concourent à une dramaturgie incontestable, certes pâle face à l’imaginaire de Claus Guth lors de la précédente trilogie Da Ponte salzbourgeoise. Comme dans Così, et plus que dans un Don Giovanni somme toute plus éparpillé, Bechtolf bâtit surtout la cohérence du spectacle sur la constance des personnages.
Son Comte sera ainsi cet indécrottable binoclard dadais-dandy pétri de certitudes, tenues de chasse, chaussettes jacquard et complet trois pièces-manteau d’intérieur, insupportable je-sais-tout vide de la moindre empathie, jusque dans un Contessa, perdono guère touchant. Luca Pisaroni lui insuffle une verve comique toute de fatuité, de tics, une déclamation autoritaire, une bonne éducation de surface, une veulerie de fils à papa bombant le torse mais au fond pas loin de l’impuissance – son remake de Shining où il se blesse en voulant défoncer la porte.
Le Figaro terrien, rustique d’Adam Plachetka, voix charpentée et stature massive, sort des canons buffo et propose une approche simple, franche, immédiate d’un personnage astucieux mais ombrageux dont le désespoir final gagne en naturel sinon en subtilité. Martina Janková offre à sa fiancée son timbre radieux, sa vitalité sans faille, son agilité et l’élégance de son émission, à défaut d’un italien toujours impeccable. Quelques aigus plafonnants dans Deh vieni non tardar n’entachent guère une prestation exemplaire, engagée, subtile, dans un rôle qui est ici le véritable moteur de l’action.
Le Chérubin hyperactif de Margarita Gritskova, timbre fruité mais émission inégale, ici coincée dans la mâchoire, là très centralisée, a tout d’un futur petit Comte : superficialité, égocentrisme, tendresse feinte. Et ce n’est peut-être pas la moindre finesse de ce spectacle, que d’assumer le manichéisme du livret – on sait qui sont les méchants – pour finalement le démonter en avançant, comme dans Don Giovanni, que les gentils n’existent pas.
Reste la Comtesse Almaviva d’Anett Fritsch, moins à l’aise ici qu’en Elvira, attaques par dessous, chant affecté, aigu sans rondeur. Forcément bien classique après le volcan émotionnel de Röschmann chez Guth, elle campe néanmoins avec retenue un personnage boiteux (violences conjugales ?) et à la dérive, sous le regard compatissant des domestiques, mais aussi capable de révolte, giflant la première puis menaçant son mari avec un fusil de chasse.
Marcellina et Bartolo de haut vol, Ann Murray drolatique dans les restes de sa splendeur et Carlos Chausson pimpant, Basilio inverti dont la solitude est bien cachée sous une arrogance vocale assumée, Curzio guère aimable, c’est surtout la Barbarina hystérique et underground de Christina Gansch qui décontenance, peut-être pour former avec Chérubin le couple emblématique d’une génération encore plus désorientée affectivement que la précédente.
Ironie du sort, c’est à partir de son L’ho perduta, déboussolé, que Dan Ettinger, qui dirige du pianoforte, initie un dernier acte assez personnel, après trois premiers d’une direction classique, mesurée, modérée, à la tête de Wiener Philharmoniker de rêve. Contre-chants mis en valeur, agogique soudain très libre, scansions funèbres dans le grave (déjà annoncées au II, Marcellina, quanto tardi a comparir) y nuancent le sentiment global d’une direction efficace et honnête, sans grande prise de position, modestie au fond conforme au projet scénique de cette trilogie aussi idéale que littérale.
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Haus fĂĽr Mozart, Salzburg Le 18/08/2015 Thomas COUBRONNE |
| Nouvelle production des Noces de Figaro de Mozart dans une mise en scène de Sven-Eric Bechtolf et sous la direction de Dan Ettinger au festival de Salzbourg 2015. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Le Nozze di Figaro, dramma giocoso en quatre actes KV 492 (1786)
Livret de Lorenzo Da Ponte d’après le Mariage de Figaro de Beaumarchais
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction : Dan Ettinger
mise en scène : Sven-Eric Bechtolf
décors : Alex Eales
costumes : Mark Bouman
Ă©clairages : Friedrich Rom
préparation des chœurs : Ernst Raffelsberger
Avec :
Luca Pisaroni (Il Conte Almaviva), Anett Fritsch (La Contessa Almaviva), Martina Janková (Susanna), Adam Plachetka (Figaro), Margarita Grotskova (Cherubino), Ann Murray (Marcellina), Carlos Chausson (Don Bartolo), Paul Schweinester (Don Basilio), Franz Supper (Don Curzio), Christina Gantsch (Barbarina), Erik Anstine (Antonio). | |
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