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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Nouvelle production de la Damnation de Faust de Berlioz dans une mise en scène d’Alvis Hermanis et sous la direction de Philippe Jordan à l’Opéra de Paris.
Enfer et damnation
Triomphe absolu pour la musique, bronca historique pour l’équipe de production : l’Opéra de Paris a renoué avec ses grands soirs de controverse. Très attendue mais déjà critiquée avant même d’exister, cette production de la Damnation de Faust, l’une des plus importantes et sans doute coûteuses de la première saison Lissner, n’a pas fini de faire parler d’elle.
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Qui ne se rappelle le scandale créé en 1964 par la mise de la Damnation de Faust que Maurice Béjart réalisait pour l’Opéra Garnier ? Et l’on pourrait continuer à égrener une liste fort longue des avatars connus sur les différentes scènes du monde par cet opéra à la fois génial et mal fagoté car il est en fait une légende dramatique non destinée à la scène.
Il y eut ici même à Bastille la production de Robert Lepage, avec déjà ses projections sur casiers, une disposition tout en largeur et quelques moments superbes, mais qui fut assez fraîchement accueillie. Tout comme celle de Luca Ronconi en 1995, sans parler de celle, si sympathiquement délirante, de la Fura dels Baus à Salzbourg en 1999.
Si Alvis Hermanis ramasse une telle volée de bois vert, c’est à la fois un peu injuste et assez justifié. Un peu injuste, car tout ce qui concerne le travail de projection est très bien réalisé et propose le plus souvent des images d’une très grande beauté, comme cet infini champ de coquelicots ou ces orques évoluant non sans grâce, ces éruptions volcaniques inquiétantes, ces images de voyage interplanétaire qui coupent le souffle.
Son idée de départ pouvait aussi être valable avec, en s’appuyant sur la pensée du scientifique paralysé Stephen Hawking, cette question : « quel serait le Faust d’aujourd’hui ? » et la réponse qu’il y apporte : « il voudrait aller vivre ailleurs que sur la Terre, sur Mars, comme la centaine de volontaires prêts à y partir ».
Mais il est dépassé par son pari, gâchant tout par quelques dérapages inutilement provocants et hors-sujet comme la séquence des spermatozoïdes en pleine fécondation ou celle des escargots s’accouplant pendant D’amour l’ardente flamme. Spermatozoïdes et escargots sont sympathiques mais n’on rien à faire ici. Les rats de laboratoire, indispensables pendant la Chanson du rat ? Pas vraiment, mais rigolos.
Car en fait, Hermanis peine à traiter le sujet qu’il s’est choisi. Même si l’on accepte le parti pris si fréquent aujourd’hui d’une absence de relation entre ce qui est dit et ce que l’on voit, autant certaines images collent au propos et l’enrichissent, autant d’autres relèvent du simple désir de choquer ou sont tout simplement du bavardage inutile comme ces photos de candidats cosmonautes au prologue, puisqu’elles n’ont pas de vrai suivi. Facile de choquer, beaucoup plus difficile de réussir un spectacle.
Et là , le metteur en scène letton est aux abonnés absents. Sur le plateau, il ne se passe absolument rien. Les chanteurs sont livrés à eux-mêmes, plus ou moins inspirés, les chœurs statufiés, les danseurs lancés dans des chorégraphies grotesques. Ce ne sont pas les cages de verre décoratives renfermant danseurs ou plantes vertes, voire Faust lui-même, qui intéressent beaucoup. Le vrai travail de théâtre est nul, inexistant. Regrettable pour une œuvre pareille !
Tout est dans la décoration, mais celle-ci, avec ses bons moments, ne tient pas non plus la distance car elle n’est que très ponctuellement en relation avec le thème du voyage dans l’espace. On oscille donc entre deux propos, celui de Hawking et celui, purement décoratif, voulu par Hermanis pour solliciter notre imaginaire. D’où cette incohérence et cette impression frustrante d’occasion manquée. Sans doute le metteur en scène s’est-il laissé emporter par le plaisir d’exaspérer, au point d’oublier son sujet. À moins qu’il n’ait pas été capable de faire mieux. On pencherait volontiers vers cette deuxième option.
Énorme consolation en revanche avec tout ce qui touche à la musique. Le Faust de Jonas Kaufmann, si mal habillé, maquillé et coiffé que le chanteur y perd son habituel charisme scénique, est d’une perfection totale pour la qualité vocale, l’élocution et l’interprétation, avec une aisance rassurante pour dominer les écueils du rôle. Bryn Terfel, égal à lui-même, est un Méphisto colossal vocalement, mais lui non plus ne parvient guère à atteindre ses habituels sommets dramatiques, abandonné dans sa blouse blanche de savant fou par le metteur en scène.
Avec sa vilaine petite robe verte de fripe, Sophie Koch est une Marguerite très bien chantante, mais desservie par les jeux de scène qu’on lui attribue, comme d’entrer pour chanter D’amour l’ardente flamme en poussant le fauteuil roulant de Hawking (Dominique Mercy), puisque le savant paralysé toujours présent sur scène, est incarné avec une admirable immobilité par ce génial interprète de Pina Bausch. Sans parler des déjà célèbres accouplements d’escargots surplombant le tout. Si c’est tout ce que faire l’amour inspire à Hermanis, on peut se poser des questions… Excellente aussi, la brève intervention du Brander d’Edwin Crossley-Mercer.
Ajoutons enfin que les chœurs sont splendides et que Philippe Jordan, grâce lui soit rendue, traite la partition de Berlioz avec une intelligence, un goût et une lucidité admirables. L’orchestre, vraiment magnifique, le suit avec passion. D’où ce triomphe sans restrictions ni exceptions pour les protagonistes musicaux. Alors, oublions ce qui est plus un ratage théâtral faute du génie nécessaire pour aborder Berlioz qu’un événement scandaleux, et retenons les somptueux moments de musique que nous avons vécus.
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