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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Création mondiale de Maria Republica de François Paris dans une mise en scène de Gilles Rico et sous la direction de Daniel Kawka à Angers-Nantes Opéra.
Fille publique
Le romancier espagnol AgustĂn GĂłmez-Arcos a imaginĂ© sa Maria Republica comme une protestation incandescente face Ă la rĂ©pression franquiste. Dans l'univers clos d'un couvent dĂ©vouĂ© Ă la rĂ©Ă©ducation des âmes dĂ©viantes Ă©clate la vengeance de cette putain rouge maniant aussi bien l'invective que la torche qui fera disparaĂ®tre cette parodie d'humanitĂ© dans les flammes.
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C'est pour fuir l'Espagne franquiste que le romancier et dramaturge AgustĂn GĂłmez-Arcos (1933-1998) dĂ©cida de venir en 1966 se rĂ©fugier en France afin d'y rĂ©diger l'essentiel de son Ĺ“uvre. Tournant le dos Ă une langue devenue pour lui la langue de la dictature, il Ă©crira Maria Republica en français. AdaptĂ© pour la scène par Jean-Claude Fall, le roman devient livret d'opĂ©ra – une première pour le compositeur François Paris (nĂ© en 1961), directeur du CIRM (Centre National de CrĂ©ation Musicale) et du Festival MANCA Ă Nice. Une première Ă©galement pour le jeune metteur en scène Gilles Rico, assistant rĂ©gulier de Patrice Caurier et Moshe Leiser, qui trouve ici une belle occasion de faire des premiers pas très prometteurs.
« Vous ne pouvez abolir ma mémoire. Mes souvenirs, je m'en servirai comme des bombes. » Au premier plan de l'action, il y a cette langue de Gómez-Arcos – une langue qui réunit dans un même écrin la violence et l'onirisme, les composantes d'un drame en forme d'antithèse des carmélites de Bernanos. L'incandescence révolutionnaire du personnage principal fait exploser l'ambiguïté de son prénom. Plus pétroleuse et insoumise que l'héroïne de Mérimée, cette Putain rouge fait de son corps contaminé l'arme de résistance à la bonne société fasciste qui défile dans son lit.
En cherchant à l'enfermer au carmel pour y enfouir la honte qu'elle constitue pour une famille désormais franquiste, sa tante lui offre l'occasion inespérée de faire imploser le système de l'intérieur. Curieux système en l'occurrence : la Révérende Mère aux faux airs de vierge fellinienne dirige un établissement qui fait de l'existence de Dieu une façade autant morale que lucrative. L'admirable décor de Bruno de Lavenère fonctionne à la manière d'un dispositif de parois coulissantes festonnées d'arabesques. Posé sur un plateau pivotant, l'espace se divise en autant de lieux que nécessaires, admirablement souligné par les lumières obliques de Bertrand Couderc qui transforme les panneaux en moucharabieh de bordel ou clôture religieuse.
L'économie des scènes et des déplacements réduit le fil narratif à des tableaux d'une Passion profane. L'irruption incongrue d'un Christ sauvage et d'un démon à tête de bouc pimente l'action d'une saveur mystique décalée. Confondant la foi avec ses doses de morphine, la sœur Psychologue préside à un étrange et sordide cérémonial aux allures de messe noire mêlant parfums d'encens et de pourriture.
Le blasphème emprunte ici davantage à Buñuel qu'à Sade une dimension de satire sociale qui montrera comment la passionaria est poussée à l'assassinat de la sœur déviante. Intronisée à la tête des Régénérées de la Très Sainte Droite, elle n'aura pas sitôt coiffé l'auréole dorée qu'elle enfermera à double tour ses congénères pour mettre le feu à tout ce simulacre. Les vidéos d'Étienne Guiol ajoutent une dimension fantastique et surréaliste, on pénètre dans un univers visuel très mobile où se croisent les fantômes de la Guerre d'Espagne, avec une esthétique baroque et décadente proche des bandes dessinées de Jacques Tardi ou Georges Pichard.
Servie par une distribution vocale très homogène et contrastée, cette Maria Republica couronne la performance de la jeune soprano américaine Sophia Burgos dans le rôle-titre. L'aigu délié et l'aisance dans les changements de registre se doublent d'une diction impeccable – un exploit, quand on sait qu'elle a appris son rôle phonétiquement. La contralto Noa Frenkel projette une impressionnante Révérende Mère, d'une présence scénique remarquable. Mention spéciale également à la troublante mezzo Els Janssens Vanmunster (Sœur Psychologue et Doña Eloisa) ainsi qu'au vibrant Christ-sauvage et Don Modesto de Benoît-Joseph Meier.
Les autres protagonistes sont issus des rangs des Solistes XXI, préparés pour cette première par l'excellent Rachid Safir. L'écriture de François Paris ne s'y trompe pas en confiant à la partition des reflets à la fois madrigalesques et ambigus pour dépeindre les rites obscurs qui se déroulent dans ce couvent. Daniel Kawka dirige d'une geste large et très souple les musiciens de l'Ensemble orchestral contemporain.
Un cran en dessous de l'urgence tellurique du livret, la musique de François Paris navigue prudemment dans un discours micro-tonal ponctué de pizz Bartók et trémolos de clarinette, le tout hérissé à l'envi des tensions d'une électronique à la saveur surannée. La musique remonte en plusieurs occasion le flux narratif pour suspendre une action théâtrale qui ne demande qu'à s'enflammer et exploser (ce qui est particulièrement frappant dans la conclusion de l'ouvrage). Faibles bémols en définitive pour un défi remporté haut la main par l'ensemble des acteurs.
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