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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Nouvelle production des Pêcheurs de Perles de Bizet dans une mise en scène d'Emmanuelle Bastet et sous la direction de Rani Calderon à l'Opéra national de Lorraine.
Entre Ă©pure et nostalgie
Les Pêcheurs de perles débarquent à l'Opéra national de Lorraine dans une mise en scène qui allie des lignes épurées avec en filigrane une couleur sociopolitique très actuelle. Un plateau de qualité trouve en Rani Calderon un soutien efficace. Le tout jeune directeur musical offre à cette œuvre de jeunesse de Bizet un volume orchestral généreux.
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Nous avions admiré le travail d'Emmanuelle Bastet pour son Pelléas façon film noir au Théâtre Graslin en 2014. Nous la retrouvons aujourd'hui dans les Pêcheurs de perles à Nancy, dans une approche beaucoup plus épurée qui peine à renouer avec ce précédent succès. On peut évidemment objecter qu'il s'agit là d'une œuvre de jeunesse à l'inspiration musicale et littéraire assez hétéroclite. La prose d'Eugène Cormon et Michel Carré ne rivalise en aucun cas avec Maurice Maeterlinck et les empâtements orientalistes dissimulent mal l'étroitesse et la banalité d'un drame petit bourgeois. Difficile également de confondre ces bluettes avec l'amour noir et carnassier qui placeront Carmen dans la catégorie des chefs-d'œuvre intemporels.
C'est pourtant sur le registre de l'actualisation de l'intrigue que se propose de jouer la mise en scène. On perçoit ici la volonté de réunir des références au contexte difficile que vivent les populations côtières de l'Inde et du Sri-Lanka (actuelle Ceylan où est censé se dérouler l'intrigue). Pas d'orientalisme à outrance ou d'esthétique romantique et décadente façon Gustave Moreau ou Théodore Chasseriau. Il y a ici une volonté explicite de substituer à la carte postale et au style pompier des allusions explicites à la question environnementale et politique : misère de ces pêcheurs obligés de ramasser des déchets échoués sur la berge, présence de nervis armés de kalachnikov.
On ne trouvera ni dans le décor ni dans les costumes une référence au dogme religieux qui guidera les personnages vers leur destin. La scène est divisée par des poteaux de bois, tels qu'on peut en voir dans des brochures d'agences de voyages : à la fois poste d'observation pour pêcheurs au I et barreaux de prison au II, ils constituent des éléments plus décoratifs que symboliques, tout comme ce reste d'épave rongée par la rouille, allusion discrète aux navires en fin de vie qui finissent découpés au chalumeau dans la baie d'Alang. Au rythme des marées, l'eau envahit le plateau ou tombe en mousson, avec à l'arrière-scène de vastes jeux d'ouverture et de fermeture comme pour dessiner un horizon psychologique abstrait et coloré qui peine à illustrer les situations de romans photos.
Vêtue d'un robe bleu azur que l'obscurantiste Nourabad s'évertue à recouvrir d'un voile gris, la Leïla de Vannina Santoni darde ses aigus avec une fière véhémence pas toujours ajustée dans les intonations (Me voilà seule dans la nuit). La suite la trouve plus assagie mais d'une surface vocale toujours dominante et assez éloignée des guirlandes éthérées qu'on y entend d'ordinaire. Le ténor uruguayen Edgardo Rocha (Nadir) fait les frais d'une telle présence à ses côtés. Disparaissant dans les ensembles, la voix peine dans le registre grave malgré la netteté et la précision des aigus dans le célèbre Je crois entendre encore. Zurga sonore et très incarné, Jean-François Lapointe semble avoir retrouvé la santé qui avait failli le conduire à annuler la première. Sa belle personnalité s'allie à un français impeccable et un art des nuances remarquable. Le Nourabad noir et intense de Jean Teitgen complète de belle manière un plateau de qualité.
Nouvellement nommé directeur de l’Opéra national de Lorraine, Rani Calderon use d'une battue large et volontaire pour donner à la partition de Bizet une dimension qui en dépasse largement les moyens et l'écriture. Même si le chœur fait souvent les frais du volume déployé par la fosse, notamment dans les moments où la mise en scène le relègue en coulisses, l'énergie orchestrale demeure vivace et communicative.
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