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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Nouvelle production de Faust de Gounod dans une mise en scène de Frank Castorf et sous la direction de Marc Soustrot à l'Opéra de Stuttgart.
Diaboliquement vĂ´tre
Après le Ring à Bayreuth, Frank Castorf s'attèle au Faust de Gounod. Le résultat est un regard critique sans concession sur l'Histoire contemporaine de la France. Cette analyse ultra politique et polémique apporte une dimension inédite et passionnante à un monument de l'art lyrique qui ne demandait pas mieux que d'être revisité.
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Complicité artistique
Sombre Volga
Hommage au réalisme poétique
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Ce Faust de Gounod est la seconde incursion de Frank Castorf dans l'univers de l'opéra, la seconde après un Ring iconoclaste créé à Bayreuth pour le bicentenaire de la naissance de Wagner. Directeur de la Volksbühne depuis plus de vingt ans, le metteur en scène a développé un art basé sur des emprunts à la réflexion socio-politique et un usage immodéré des techniques de capture vidéo qui permet de s'introduire en direct dans l'intimité des échanges qui se déroulent sur scène.
Passionné par la complexité du monde et des enjeux, il adapte avec gourmandise des classiques comme Goethe, Shakespeare ou Dumas, mais également le matériel littéraire et idéologique de ses spectacles combine des extraits de Dostoïevski, Tennessee Williams, Pitigrilli, Heiner Müller ou Bertolt Brecht… La citation proliférante offre à Castorf un espace théâtral unique et pluriel qui se joue des frontières de genres et de styles : la marque d'un esprit libre.
L'Ă©lĂ©ment charnière de cette dramaturgie est le fabuleux dĂ©cor pivotant imaginĂ© par Aleksandr Denić, fidèle collaborateur de Castorf. Ce dĂ©cor multi-angles assemble des fragments de lieux connus et/ou emblĂ©matiques d'une certaine vision de la France et de Paris en particulier. Ainsi, les très reconnaissables tours de Notre-Dame, l'entrĂ©e du mĂ©tro Stalingrad (avec une tente de rĂ©fugiĂ© sous l'escalier) ou bien encore ce CafĂ© Or Noir aux allures faussement montmartroises mais dont le souvenir du Ring de Bayreuth rend l'appellation très explicite.
Se greffent à ces éléments un réseau d'allusions ténues qui jettent un regard polémique sur l'évolution socio-historique de la France. C'est par exemple, la récurrence du logo Coca-Cola comme référence du pouvoir économique et diabolique ou encore son équivalent Vichy-Célestins, que Castorf s'amuse à décliner en référence pétainiste avec des affiches vantant l'appel aux travailleurs français à remplacer les ouvriers allemands ou bien la funeste Légion des Volontaires Français.
On passe avec brio de la révolution rimbaldienne à la révolution nationale, prélude aux sulfureux parallèles entre le poète devenu vendeur d'armes, la colonisation et la guerre d'Algérie. Comme toujours chez l’Allemand, un très complexe dispositif de captation et de retransmission vidéo vient s'ajouter à ce réseau référentiel déjà très dense. C'est pour nous l'occasion de lire dans les gros plans l'extraordinaire exigence de la mise en scène en termes de jeu et d'expression. Il ne faut guère se fier au Grand-Guignol des scènes où le vaudou tient lieu de pacte avec Méphistophélès, ou bien ce Faust à la transformation physique tout droit sortie d'un film de série Z, à l'imitation de cette immense affiche du Mature Horror Show: The Horror Chamber of Dr. Faustus (titre anglais du film de Franju, Les Yeux sans visage).
Ce jeu entre interférences et irrévérences fait un pied de nez au monument lyrique et propose une dimension réflexive de premier ordre. Il fallait à un travail d'une telle ampleur des interprètes capables de donner au chef-d'œuvre de Gounod les audaces et la modernité de la mise en scène. La barrière de l'accent ne pèse pas bien lourd et la plupart se tirent brillamment des chausse-trappes du livret, étendard littéraire du Second Empire. Le Méphistophélès de Adam Palka dépasse d'une tête tous les autres protagonistes. La présence en scène est remarquable, la projection puissante et capable d'une étonnante palette d'effets variés.
D'une ligne expressive moins claire, le Faust de Atalla Ayan parvient pourtant à se tirer sans encombre de ces tubes périlleux, à commencer par Demeure chaste et pure. La Marguerite de Mandy Fredrich laisse des regrets ; l'intonations en place mais par trop de sagesse de d'engagement, elle laisse en définitive peu de souvenirs. La pétillante Josy Santos est un Siébel de grande tenue, avec un registre grave volontiers opulent et une séduction vocale malgré les deux moments délicats dans lesquels Castorf lui demande de lire Rimbaud et Baudelaire dans des transitions orchestrales.
La vétérane Iris Vermillion est une Marthe de premier plan, tandis que le Valentin Gezim Myshketa fait rapidement oublier la piètre prestation de Michael Nagl en Wagner. La direction de Marc Soustrot livre un Gounod jamais pompier ou martial. Privilégiant explicitement la clarté des lignes harmoniques, il fait la part belle au drame et au théâtre. Parodiant Rimbaud, on peut dire de ce Faust : « C'est la vraie marche. En avant, route ! »
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