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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Nouvelle production de Cavalleria rusticana de Mascagni et de Sancta Susanna de Hindemith dans une mise en scène de Mario Martone et sous la direction de Carlo Rizzi à l’Opéra de Paris.
Devant la croix
Pour la première fois à l’Opéra de Paris, le court opéra de Hindemith Sancta Susanna succède à Cavalleria Rusticana dans sa production de la Scala de Milan. Un enchaînement que légitime le metteur en scène Mario Martone au nom du sacré et du désir exacerbé présents dans les deux œuvres. Une réussite des plus intéressantes sous la direction lumineuse de Carlo Rizzi.
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Complicité artistique
Sombre Volga
Hommage au réalisme poétique
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Le Christ en croix unit leurs drames : dans une église où la passion exacerbe l’amour et la souffrance des jeunes gens coupables du drame de Mascagni, Cavalleria rusticana, dans la cellule où prie et s’enflamme par une chaude nuit de mai la religieuse d’Hindemith, Sancta Susanna. Mais avec elle le crucifix ne restera pas accroché au mur. Ce que Mario Martone réalise alors tient du prodige : le corps en demande de la religieuse tout de blanc vêtue qui peu à peu s’exalte et se déshabille et saisit la croix atteint la sensualité voulue sans la moindre lourdeur.
L’érotisme auquel accède ensuite Sancta Susanna n’agresse jamais ses témoins. Anna Caterina Antonacci l’habite corps et âme, entourée de l’attention de la nonne plus âgée, Sœur Klementia (Renée Morloc), aussi justement présente et inquiète. Sa ferveur déchirée, le sinistre aboutissement des égarements scandaleux auxquels arrive Sancta Susanna garde la même acuité érotique exempte de toute complaisance.
La fusion entre l’expressionnisme du compositeur et celui du metteur en scène, lumineusement portés par la direction de Carlo Rizzi, crée un moment d’une rare puissance psychologique. La présence des seconds rôles, la chorégraphie symbolique dans l’ombre de l’étreinte de la jeune femme sur le corps du Christ, la détermination finale transcendent de leur perfection visuelle les tumultes de la chair et les excès du sacré, sublimés par la transparence de la musique orchestrale.
La direction d’acteurs est évidemment à la source d’une telle réussite. Et de celle de Cavalleria rusticana auparavant. Ses personnages, simples, modestes, de noir vêtus, femmes fichus sur la tête, qui vivent dans un petit village dont on ne sait rien (le folklore sicilien n’a plus aucune importance), ces personnages ont des traditions et une morale précises, le dimanche de Pâques ils vont à la messe, comme dans tous les lieux semblables que rien ne particularise.
Chacun arrive avec sa chaise, cela permet aux chœurs de prendre place sur le plateau nu. Ils y sont remarquables, élément essentiel de la tragédie qui va se jouer sous nos yeux. Devant le crucifix sur le mur en fond de scène, l’intensité de l’atmosphère suscitée sera le seul décor après le lever du rideau noir derrière lequel montaient des chants poétiques. Atmosphère née d’un Orchestre de l’Opéra complice de la direction légère et profondément expressive de Carlo Rizzi dès l’ouverture de l’œuvre revisitée par l’épure du spectacle ainsi revu avec Mario Martone.
L’humanitĂ© de Santuzza y atteint une vĂ©ritĂ© bouleversante grâce Ă Elina Garanča. La mezzo-soprano est tout naturellement exceptionnelle de sensibilitĂ© quoiqu’elle chante. La beautĂ© du timbre n’a d’égale que l’expressivitĂ© d’une voix Ă©manant du cĹ“ur et du dĂ©sir d’une femme belle, vraie, malheureuse, implorante, jalouse, bouleversante. Son Turidduu n’est malheureusement pas Ă sa hauteur. Yonghoo Lee a des gestes de tĂ©nor caricatural, et si la voix ne faillit pas, son jeu Ă l’emporte pièces fausse toute l’ambigĂĽitĂ© de sa vie double.
Antoinette Dennefeld est sa jolie maĂ®tresse secrète, Ă©pouse d’un charretier plein de faconde, Vitaliy Bilyy. La mère de Turiddu, Elena Zaremba, partage avec Garanča la profondeur d’une conscience essentielle au vĂ©risme ainsi condensĂ©. Passion, trahison, amertume, vengeance, fureur, remords, pardon, troubles en sont le seul sujet. TraitĂ© avec un dĂ©pouillement de moyens qui rĂ©vèle sa force.
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Opéra Bastille, Paris Le 30/11/2016 Claude HELLEU |
| Nouvelle production de Cavalleria rusticana de Mascagni et de Sancta Susanna de Hindemith dans une mise en scène de Mario Martone et sous la direction de Carlo Rizzi à l’Opéra de Paris. | Pietro Mascagni (1863-1945)
Cavalleria rusticana, mélodrame en un acte
Livret de Giovanni Targioni-Tozzetti, Guido Menasci, d’après Giovanni Verga
Paul Hindemith (1895-1963)
Sancta Susanna, opéra en un acte op. 211
Livret d’August Stramm
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Carlo Rizzi
mise en scène : Mario Martone
décors : Sergio Tramonti
costumes : Ursula Patzak
Ă©clairages : Pasquale Mari
préparation des chœurs : José Luis Basso
Avec :
Elina Garanca (Santuzza), Yonghoon Lee (Turiddu), Elena Zaramba (Lucia), Vitaliy Bilyy (Alfio), Antoinette Dennefeld (Lola) ; Anna Caterina Antonacci (Susanna), Renée Morloc (Klementia), Sylvie Brunet-Grupposo (Une Nonne). | |
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