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CRITIQUES DE CONCERTS |
09 mai 2025 |
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Nouvelle production de la Clémence de Titus de Mozart dans une mise en scène de Peter Sellars et sous la direction de Teodor Currentzis au festival de Salzbourg 2017.
Salzbourg 2017 (5) :
Le feu sacré ?
Avouons notre malaise devant le foisonnement bouillonnant de la Clémence de Titus par Peter Sellars : faisant corps avec la conception incendiaire, du feu doublement sacré du théâtre et du Temple, de Teodor Currentzis, elle n’évite pas à notre sens certaines facilités qui nous ont rappelé les heures les moins constructives de la polémique « Je suis Charlie ».
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Comment pardonner à son agresseur ? Dans la Judée martyrisée par Titus, dans les remous de la Révolution, dans l’après-11 septembre ? C’est le point de départ de Sellars et Currentzis, qui ont imaginé, pour « exprimer ce mélange de tristesse et de force spirituelle » de notre temps, d’irriguer la partition de la Clémence de Titus d’extraits de la Grande Messe en ut mineur, de l’Adagio et Fugue en ut mineur, et de la Musique funèbre maçonnique pour les obsèques de Titus, constituant une sorte de représentation funèbre à la mémoire de toutes les victimes de la violence – les Jeux de la réconciliation en quelque sorte. Car si Titus, abattu à bout portant par Sextus, succombe à ses blessures sans l’avoir entendu, tout est perdu.
Il y a quelque chose d’oppressant dans cette injonction à communier, comme en France on s’écharpait en janvier 2015 à coup d’arguments stériles pour savoir jusqu’à quel point il fallait « être Charlie ». Et ce discours sur l’état démocratique attaqué par la jeunesse d’ailleurs programmée pour la violence irrémédiable, où les subtilités de la géopolitique n’ont pas leur place (pas la moindre motivation au geste d’un Sextus pourtant déchiré), prend une forme manichéenne d’affrontement entre raison et absurdité, qu’affaiblit la scénographie ici clinquante (maquettes d’immeubles luminescentes, costumes carcéraux d’astronautes), là misérabiliste (la galerie de costumes des migrants).
Et puis du détail à profusion, mais il faut accepter que ça coince aux entournures. L’empereur Mandela et sa future femme Winnie, pourquoi pas, mais il faut nous expliquer par exemple qu’elle conspire contre lui le jour de son couronnement alors que dans la vraie vie ils étaient mariés depuis près de quarante ans lors de son accession au pouvoir. Question d’universalité, sans doute. Mandela mais plus que Mandela.
La relation entre Annius et Servilia, déjà artificielle dans le livret, est ici complètement sapée par la brièveté de leur amour. De même, l’amitié d’Annius et Sextus, pour ne rien dire de l’amour encombrant de Sextus pour Vitellia, au besoin discrètement expurgé des récitatifs, ici par des coupures, là par une traduction spécieuse dans le surtitrage et le programme.

Citons encore la ceinture d’explosifs, image choc pour le consommateur de médias mais gratuite puisqu’elle n’explosera pas ; le rapprochement Mandela-migrants-terrorisme-christianisme ; les images tire-larmes de bougies et fleurs post-attentats ; et pas l’ombre d’un questionnement sur nos démocraties – facilités. Si l’on ne savait pas Sellars, à travers ses notes d’intention, clairvoyant sur ces questions, on pourrait parfois se demander quelle complaisance envers l’Occident portant la lumière de la civilisation dans le vaste monde est ici à l’œuvre. On voudra donc imaginer une critique de toutes les propagandes dans cette idéalisation de Titus adulé de tous.
Que reste-t-il ? Une ferveur tangible, une exaltation lisible sur les visages, le feu sacré, encore, à faire pardonner bien des imperfections, notamment la Servilia dure et blanche de Christina Gansch qui donne tout ce qu’elle a, et le Tito bien encombrant de Russell Thomas, qui éructe depuis son lit de mort les vocalises de son dernier air et n’a que la pleine voix d’acceptable dans Mozart ; la stature adamantine de Willard White, tellement abîmé vocalement en Publio ; le dernier air de Golda Schutz dans les larmes, Vitellia sans grave mais capable d’une sublime repentance ; l’Annio rayonnant d’humanité de Jeanine De Bique, gratifié à bon escient du solo du Kyrie de la Messe, et surtout la fabuleuse incarnation lunaire de Marianne Crebassa en un Sesto inouï de subtilité vocale et d’ambiguïté.
Une direction musicale enfin, excessive, incandescente, où s’engouffrent les instrumentistes et chanteurs de musicAeterna, dont l’investissement seul sauve du mauvais goût la gestuelle de comédie musicale chère au metteur en scène et qui ici aurait pu compromettre plus d’un mouvement de foule alors que la musique, dans la messe en particulier, est saturée d’émotion. Suspensions béantes, tempi extrêmes, sonorités accusées – et quelle clarinette de basset ! On reproche si souvent au Regietheater d’écraser tout ensemble spectateur et œuvre ; et c’est pourtant bien le grand Sellars, la main trop lourde, qui nous semble rester sur le perron de la production géniale.
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